Islande-France - 01.11.1947, Blaðsíða 9
ISLANDE - FRANCE
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n’importe quel Islandais est-il encore
aujourd’hui capable de lire, á l’ex-
ception des poémes, la vieille littéra-
ture, sans difficulté réelle. Nous di-
sons “á l’exception des poémes”:
c’est qu’en effet la nature, les carac-
téristiques de la poésie ancienne
étaient tclles que de tout temps les
habitants de l’lslande ont éprouvé
des difficultés á comprendre les
“heiti” et les “kenningar” dont elle
est ])arsemée. Les “heiti” (litt. appcl-
lations), au nombre d’environ deux
mille, sont des termes poétiques em-
])loyés á la place des mots habituels
et banals; les “kenningar” sont des
circonlocutions souvent ingénieuses
ct d’unc grande beauté. Les pre-
miers, connus également des ancien-
nes langues germaniques, telles quc
l’ancien baut allemand et l’anglo- sa-
xon, se sont conservés á travers les
siécles; plusieurs sont encore aujour-
d‘bui en usage. Datant dans un grand
nombre de cas de l’époque indo-
européenne, ils éclairent d’une lu-
miére vive la pensée nordique des
plus anciens temps, et présentent,
de ce fait, un grand intérét linguis-
tique. Si, par exemple, oif étudie
ceux qui servent á désigner la femme,
on constate que cellc-ci a été nom-
mée d’aprés sa coiffure (snót, víf);
qu’elle a été appelée “la tranquille”
(drós) ou “la bruyante” (svarri,
svarkr); qu’elle a tiré son nom de
l’éclat de la jeunesse (feima, sprund,
sprakki); qu’elle a été désignée com-
mc l’amante (man) ou celle qui at-
tend dans la maison paternellc l’ar-
rivée de l’amant (sæta, aujourd’hui,
généralement, heimasaeta) etc. , .,
Dans les „kenningar“, la femme est
souvent désignée par une allusion á
son aspect, á sa beauté, á la beauté
de ses bras (haukmaera Hlin: la
déesse des bras) á ses bijoux (auð-
ar þella, gollmens Fríðr), á son cos-
tume (hörbeiði-Sif, lín-Gefn), á son
occupation (öl-Saga, öl-Nanna: la
déesse de la biére, celle qui porte á
boire), etc. II existe de méme un
grand nombre dc “heiti” et de “ken-
ningar” qui servent á désigner les
chefs des vikings, les géants, Tbor,
Odin, et les autres dieux et déesses,
les valkyries, les guerriers, les ba-
tailles, les armes de toute sorte, les
animaux, les poissons, les fleuves,
la mcr, le ciel, les étoiles, etc ...
et ce langage est lié par des rap-
ports étroits aux mythes et á un
grand nombre de récits et de sou-
venirs anciens. Mais ces expressions
poétiques mémes conférent á la lan-
gue islandaise une majesté particu-
liére, une noblesse qui l’éléve au-
dessus de la plupart des autres lan-
gues: elle fait á cet égard penser á
l’ancien grec.
Gráce au riche héritage culturel
apporté de Norvége par les premiers
colonisateurs, gráce á la fidélité im-
muable du peuple á l’égard des va-
leurs spirituelles, qui, aux époques
de grande humiliation, les éclairaient
dans leur détresse et áauvaient la
nation de la perte totale, les Islandais
ont í’éussi á conserver leur dignité
nationale, leur langue et leur littéra-
ture et á progresser sur le chemin
de la culture et de la perfection.
On s’étonnera peut-étre d’appren-
dre que le vocabulaire islandais ne