Islande-France - 01.11.1947, Side 28
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ISLANDE - FRANCE
ne devais pas regretter le déplace-
ment, car rien ne fut plus dröle cjue
cette visite.
Je suppose qu’á Joinville on était
en train de construire un commis-
sariat, car nous arrivámes á une
maisonnette d’un étage, entourée
d’une palissade; dans la cour, les
poules se promenaient tranquil-
lement et montaient méme dans la
salle d’attente ou cjuelques paysans
et ouvriers étaient assis sur des
bancs de bois. Nous fumes reyus par
un grand homme roux cjui parais-
sait bien peu distingué. Madame
Lecocq lui demanda s’il était le com-
missaire. “Non, mais je suis son
gendre, répondit-il, et je le remplace
j)our quclques minutes”. Ma com-
pagne me présenta et dit que j’étais
venue pour déclarer un vol; aprés
cjuoi, elle me donna la j)arole en
s’asseyant tranquillement dans un
coin de la piéce. Je trouvais sa
conduite assez bizarre, car elle savait
que je ne parlais pas encore couram-
ment le frangais, mais j’étais trop
fiére poiir lui demander de m’aider.
Le monsieur prit place dans un
fauteuil et, d’un air autoritaire, se
prépara á mettre par écrit mes dé-
clarations. L’interrogatoire ne man-
qua pas de saveur; le voici: “Quel
est votre nom?” — “Thora Frid-
riksson” II me regarda avec un
sourire mi-railleur, mi confus; il se
grattait la téte et froncjait les sour-
cils en hésitant, mais je lui offris
d’écrire mon nom moi-méme, ce qu’il
accepta. “Quel est votre áge?” —
“Trente et un ans. “ Cette fois-ci
il écjata de rire “Mademoiselle, vous
ne savez pas bien le frangais, vous
voulez dire vingt et un ans” — Je
protestai, mais il secoua la téte en
murmurant: “Vous avez l‘air trop
jeune”, et il écrivit “vingt et un ans”.
Je le laissai faire. “Dc quel pays
étes-vous?” - D’Islande”. Sa gaieté
fut encore plus bruyante, et en
déclarant de nouveau que je ne savais
pas le frangais, il écrivit avec as-
surance: “Irlande”. J’étais trop
bonne patriote pour consentir á
étre prise pour une Irlandaise, et
puisqu’il se faisait fort de rne dirc
que je ne savais j)as le fi'ancjais, je
voulus me venger en lui prouvant
qu’il ne savait pas sa géographie.
“J’ai dit Islande, j)as Irlande, repris-
je; vous avez certainement entendu
parler de l’Islande ou tant de j)é-
cbeurs bretons vont tous les ans?”
“Non”, dit-il, en secouant sa téte
roiisse. De toute évidence, il était
tétu, mais je le suis aussi et, sur un
ton provocant, je lui demandai s’il
avait une carte de l’Eúrope. “Mais
oui, mon beau-pére en a une dans
son bureau”; et il s’élan^a dans la
j)iéce voisine ou il décrocha du mur
une trés grande carte qu’il étala sur
la table devant moi. Hélas! quelle
fut ma déception, lorsque je m’
apergus que l’Islande n’y était pas,
car la carte n’atteignait j)as sa lati-
tude .... Mon interlocuteur ricana,
tandis que je táchais encore* de dé-
fendre mes positions. Nous nous
disputions quand le beau-pére, lc
commissaire, arriva. Mis au courant
de l’affaire, il cbassa son gendre
avec la carte, en murmurant entre
ses dents: “Idiot!”, Je repris mes