Le Pourquoi pas - 2012, Side 24
No24 Economie : Le point de vue islandais
On dit que l Íslande est la
« success story » de la crise
économique. Les banques
islandaises se sont effon-
drées en octobre 2008, et
avec elles l´économie toute
entière du pays. Toutefois,
la façon dont les Islandais
gèrent la crise est citée en
exemple dans diverses pu-
blications, notamment le
Financial Times et le Wall
Street Journal. Le prix nobel
d´économie Paul Krugman
voit en l Íslande une lueur
d éspoir dans le marasme
économique actuel.
Plusieurs faits. Ĺ Islande
a contrôlé la faillite de ses
banques, les dettes du pays
ont été réduites au niveau
honorable de 65% du PIB, et
les emprunts d´Etat vont à
l´investissement. Avec une
croissance de près de 3% cette
année et un taux de chômage
aux alentours de 6%, l ávenir
semble sourire aux Islandais.
Il peut alors sembler paradoxal
que l’on est pas décerné des
lauriers au gouvernement - une
coalition entre les Sociaux-Dé-
mocrates et les Verts, arrivée
au pouvoir peu de temps après
le crash -. Au contraire, sa cote
de popularité rase les 28% ce
qui en fait le second gouver-
nement le moins populaire de
l´histoire de l´Islande, juste
derrière le gouvernement en
place lors du crash. Notons
que la cote de popularité de
ce gouvernement était de 83%
avant le début de la crise. Il
est désormais de notoriété pu-
blique qú à l´époque, en 2007,
l´économie était totalement
hors de contrôle, entrainant
l éffondrement de toutes les
banques en octobre 2008.
Le chef du gouvernement
Social-Démocrate (centre-
gauche) Jóhanna Sigurðardót-
tir et le président des Verts
Steingrímur J. Sigfúgsson sont
tres impopulaires, et les propos
tenus à leur égard sont souvent
violents.
Ĺ un de leurs défaut est qú ils
ne sont pas très doués en com-
munication. Eux mêmes réto-
queraient qú ils sont trop occu-
pés à réparer les pots cassés par
leurs prédecesseurs. Une autre
difficulté est la propagande
du parti de l ópposition. Vaste
alliance des partis de droite, Le
Parti de l´Indépendance fut
au pouvoir durant les dix-huit
années qui ont précédé la crise.
Il bénéficie d ún large soutien
des entreprises, des secteurs de
la pêche et industriel, et est en
mesure de causer d’importants
dégats à un parti rival.
Il n’en demeure pas moins que
nombre de problèmes sont
directement causés par la poli-
tique de Jóhanna Sigurðardót-
tir et Steingrímur J. Sigfússon.
Ĺ endettement des ménages a
fortement augmenté après le
crash et l éffondrement de la
couronne, et les solutions pro-
posées par le gouvernement
ń ont malheureusement pas
été à la hauteur – malgré la
promesse de Jóhanna d´ériger
une forteresse autour des mé-
nages du pays. Ceci a provoqué
d´importantes manifestations
et sera certainement au coeur
des débats des prochaines élec-
tions d‘avril 2013.
Un autre sujet de discorde
majeure, les accords d‘Ice-
save à passer au sujet du rem-
boursement des dettes qu’a
contractées la banque Lands-
banki à travers ses filiales au
Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
Ceci est à l órigine de tensions
internationales pour l´Islande;
par deux fois un accord fut
établi, soutenu par le gouver-
nement et adopté de justesse
au parlement; par deux fois
– début 2010 et courant 2011
– le président de la république
a opposé son veto à l áccord,
soumettant la décision à un
réferundum. A chaque fois le
gouvernement fut humilié,
coups durs dont il ne se remet-
tra jamais.
Encore d’autres débats font
rage. A cause de la crise de
l éuro, la demande d ádhésion
à l´UE est devenue profon-
dément impopulaire ; le pro-
cessus de réecriture de la
Constitution a été bloqué au
parlement et pire encore, le
gouvernement a ouvert une
véritable boîte de Pandore en
se lançant dans la réforme du
système de pêche, sujet qui a
tendance à faire sortir les Is-
landais de leurs gonds.
Certains diront que le gouver-
nement était trop ambitieux. Il
est entré en fonction lorsque
tout était sens dessus-dessous
et à présent il a beaucoup de
mal à tenir ses promesses.
Toutefois, il y a une reprise
de l‘économie que même
l ópposition a du mal à nier.
Elle utilise même cette reprise
comme argument contre le
fait de rejoindre l´UE. Le taux
ne chômage ń a pas atteint
les niveaux des autres pays
d´Europe, l´Etat Providence
a été largement protégé, et
l´Islande ś en sort mieux que
d áutres états ayant été secoués
par la crise, comme l´Irlande,
la Grèce et la Lettonie.
Tout ceci est évidemment
causé, dans une certaine me-
sure, par la dévaluation de la
couronne. Il fallait moins de
90 couronnes pour un euro
contre 168 aujourd´hui. Ĺ une
des raisons du crash était cette
monnaie totalement suréva-
luée, mais maintenant que la
couronne est au ras des paque-
rettes, les industries qui ex-
portent -principalement pois-
son et aluminium- ainsi que le
tourisme, sont comme jamais
en expansion.
En Islande, cependant, on
perçoit les choses différem-
ment. La couronne islandaise
a été à la fois un cancer et son
antidote. Ĺ effondrement de la
monnaie représente un lourd
fardeau sur le dos de la popu-
lation, tant au niveau des prêts
en devises étrangères – qui
étaient légion avant la crise –
que des subprimes - un système
ayant été qualifié de dangereux
par d‘ illustres économistes.
Ĺ inflation est à présent de
6,8%, la plus haute d´Europe,
et les prêts augmentent.
Un euro vaut 165 couronnes,
mais sur les marchés étran-
gers un euro atteind jusqú à
250 couronnes. Ceux qui sont
le plus opposés à l ádhésion à
l´Union européenne voient en
la couronne la condition de
l´indépendance de l´Islande.
Néanmoins, les industries
de l éxport -même celle de la
pêche qui a toujours rechigné à
entrer dans l´UE- sont de plus
en plus en faveur de l‘euro.
Pour adopter l éuro, l´Islande
devra adhérer à l´UE, ce qui,
malgré la demande d ádhésion
en cours, semble être une réali-
té lointaine. D áutres solutions
ont été évoquées, comme par
exemple l ádoption de la cou-
ronne norvégienne - les Norvé-
giens ne semblent pas enchan-
tés -, ou de "l´huard" canadien
- et à ce sujet, les Canadiens
sont discrets.
Par Egill Helgason, traduit de
l'anglais par le LPP
Photo : Virginie Le Borgne et
Lea Gestsdóttir Gayet
L ‘ Islande, la crise
et le très impopulaire
gouvernement
« Toutefois, il y a une re-
prise de l‘économie que même
l´opposition a du mal à nier. »