Le Pourquoi pas - 2012, Blaðsíða 25
Economie : Le point de vue français No25
Un cerisier sur le sol islan-
dais on ne le verra jamais.
Ou alors dans une serre
chauffée par la géothermie.
Que dieu bénisse l’Islande
avait déclaré son premier
ministre et sans doute son
plus vieil animal politique,
Geir Haarde, le jour où le
pays a coulé comme un pa-
quebot à l’automne 2008.
Qu’en est-il quatre plus tard ?
Vu de l’étranger l’Islande
sert de laboratoire à tous les
endettés, aux indignés, aux
nostalgiques du grand soir.
Révolution de velours sur
fond de bruits de casseroles
ou supercherie médiatique ?
Une vidéo d’origine québé-
coise circule sur les réseaux
sociaux depuis plus d’un an
vantant les mérites de la dé-
mocratie islandaise et de son
peuple. Des images de mani-
festations devant le parlement
de poche islandais aux murs
sombres. Quelques vues du
siège de la Landsbanki et un
survol du pays pour accompa-
gner un long commentaire (en
voix off) plus proche de la pro-
pagande que des faits. Des sites
Internet émanant de réseaux
altermondialistes, devenus
indignés voire alternatifs font
leur marché, eux aussi, dans un
dédale d’ informations puisées
ici et là dans quelques médias
étrangers et qui dénoncent une
censure internationale pour
donner du coffre à l’ensemble.
Bref, l’Islande serait, selon eux,
devenue une île porteuse d’es-
poirs pour révolutionnaires en
bleus de travail ou en culottes
courtes. Qu’en est-il exacte-
ment de la situation écono-
mique, financière et politique?
Les Islandais ont tout simple-
ment obtenu en manifestant le
départ d’un clan aux affaires
depuis des lustres, lié au parti
de l’Indépendance (conserva-
teur et antieuropéen). Puis des
élections anticipées après la
démission de Geir Haarde et
la refonte totale de la consti-
tution datant de 1944 (copie
conforme de celle du Dane-
mark). Ensuite, ils ont voté
par deux fois (referendum)
contre le remboursement des
énormes dettes bancaires. Le
nouveau gouvernement (une
alliance centre gauche/vert)
a bien sûr refusé d’indem-
niser les banques étrangères
victimes de l’affaire « Icesave
» (certains diront l’escroque-
rie « Icesave ») orchestrée par
la Landsbanki et qui a fait
sombrer l’économie du pays
considérée jusque-là comme
exemplaire par les agences de
notations. Une bonne affaire
pour ceux qui plaçaient leur
argent via Internet à des taux
défiant toute concurrence.
La banque islandaise offrait
ces taux hors normes grâce à
l’argent de quelques banques
européennes. Une affaire qui
empoisonne désormais l’éco-
nomie de l’île et les relations
avec la Grande-Bretagne,
les Pays-Bas et la Belgique
depuis ce fameux automne
2008 puisque les banques
concernées sont issues de ces
trois pays. L’état islandais,
alors dirigé par Geir Haarde,
avait aussitôt nationalisé les
banques du pays pour éviter
l’effondrement financier mais
il rendait dans le même temps
chaque islandais responsable
du remboursement de la dette
colossale à venir. Entre trois
et quatre cents mille euros par
habitant. Le nouveau gouver-
nement a dépensé 15% du PIB
pour sauver ses banques natio-
nales mais il a toujours refusé
d’indemniser les clients étran-
gers de la Banque Icesave, mise
en faillite. Citons parmi ceux-
ci le chanteur français Enrico
Macias qui a fait le deuil de
plusieurs millions d’euros. Il
n’en reste pas moins qu’une dé-
cision de la Cour de justice eu-
ropéenne pourrait contraindre
Reykjavik à régler une ardoise
estimée à 8 milliards d’euros.
Ce qui renforce chez les islan-
dais un euroscepticisme latent.
Le parti de l’indépendance né
après-guerre d’une alliance
entre lobby des pêcheurs et des
agriculteurs entretient bien
volontiers cet euroscepticisme.
Les patrons pêcheurs islan-
dais raclent les fonds des mers
sans respecter les quotas euro-
péens ni le bon sens commun.
Ils ont déjà fait disparaître le
hareng de leur zone de pêche
puis la morue. Maintenant ils
pêchent au large de la Russie
dans les eaux internationales
donc dans l’Océan Arctique.
Ils ne respectent pas davan-
tage la chasse à la baleine dé-
passant largement le nombre
toléré par les instances mon-
diales. Ils annoncent trente
prises annuelles mais ils tuent
en réalité près de 250 baleines
pour satisfaire leur clientèle
japonaise et ce malgré la pré-
sence d’écologistes dans leur
nouveau gouvernement. De
son côté le lobby fermier pré-
fère conserver ses prérogatives
qui datent elles aussi des an-
nées d’après-guerre. Il détient
depuis cinquante ans toutes
les coopératives du pays, des
participations dans toutes les
banques via un réseau de maga-
sins créés dans les principales
bourgades de l’île et qui s’est
développé sans concurrence...
Comment tout cela fonc-
tionne ?
Par un clientélisme forcené.
Geir Haarde, né d’un père
norvégien et d’une mère islan-
daise, est le grand manitou
de ces petits arrangements
entre amis. Membre du Parti
de l’indépendance jusqu’au
«désastre» de 2008, il a bâti sa
carrière dans l’ombre de David
Oddsson, ex-directeur de la
Banque centrale au moment du
naufrage. « C’est peu dire que
l’ombre d’Oddsson, l’ancien
homme fort de l’île, plane sur
le système politique insulaire.
C’est lui que l’opinion publique
tient directement pour respon-
sable de la «catastrophe natio-
nale». Mais Oddsson n’est pas
poursuivi par la Haute Cour :
il n’était plus ministre lors de
l’effondrement. Il s’accrochait
à son fauteuil de directeur de
la Banque centrale. Il aura
fallu une loi, votée par le Par-
lement, en mars 2009, pour
l’en déboulonner. Mais, même
aujourd’hui, il reste influent.
Il s’est reconverti comme édi-
torialiste du Morgunblaðið, le
(plus) grand quotidien natio-
nal, ce qui a achevé de discré-
diter la presse, déjà accusée
de ne pas avoir enquêté sur
l’enrichissement fulgurant de
quelques familles de l’île avant
la débâcle. » répètent à l’envi
les journalistes locaux qui
s’expriment plus librement sur
leurs blogs que dans les medias
qui les emploient.
L’alternance seulement entre
copains
Avant de se prévaloir d’être de-
venus les deux piliers du Parti
de l’indépendance, Oddsson et
Haarde étaient déjà de vieux
copains du lycée de Reykja-
vík. Oddsson a toujours aimé
s’afficher comme quelqu’un
de flamboyant, Haarde était
volontiers plus effacé. Son
apprentissage sera américain.
C’est là qu’il s’est fait les dents
dans des études d’économie
tandis que son ami montait
sur les planches en demeurant
au pays. Peu sollicité, il écrira
des scenarii pour la télé et ira
jusqu’à produire de la musique.
Tout ce qui peut le mettre sous
les feux de la rampe l’attire.
Esseulé comme artiste il ten-
tera une entrée sur la scène
politique. Deviendra maire de
Reykjavík en 1982. L’appétit
venant en mangeant, il pren-
dra la direction du Parti de
l’indépendance un an plus
tard puis ministre des Affaires
étrangères et enfin Premier
ministre de 1991 à 2004. Treize
années passées à privatiser les
banques, à ouvrir les vannes
d’un libéralisme à la Thatcher.
Et surtout, il va distribuer les
bonnes cartes à ses amis. Des
entrepreneurs choisis pour
leur incompétence, issus prio-
ritairement du parti de l’Indé-
pendance selon les observa-
teurs de la vie politique du
clan. Lui se considère comme
le petit père de l’Islande mo-
derne. Ce sont les années fric
et de grande consommation.
Les Islandais ne crachent pas
dans la soupe et ne voient rien
venir quand leur grand leader
va s’octroyer la Banque cen-
trale, en 2005. Geir Haarde est
alors Premier ministre. Fidèle
à Oddsson, il se contentera de
faire l’autruche quand le loup
entrera dans le coffre-fort.
Jusqu’au jour où il s’en remet-
tra à Dieu pour qu’il bénisse
l’Islande en état de choc.
Et depuis ?
Le peuple islandais a fait son
introspection. Pendant des
mois, un comité des sages a
enquêté sur les responsabi-
lités du clan à la demande du
parlement. Eva Joly a même
été consultée pour dénouer
l’écheveau financier d’enver-
gure internationale et per-
mettre de poursuivre les frau-
deurs nichés à tous les niveaux
de l’état et de la finance. Résul-
tat des courses : des mois d’en-
quêtes, 9 volumes, 2900 pages,
147 personnes impliquées. Et
aucune arrestation. La suite
est peu connue à l’extérieur
de l’Islande: les nouveaux ban-
quiers, ces fameux «nouveaux
vikings», encensés comme des
héros nationaux, ont engagé
dix fois le produit intérieur
brut du pays à l’étranger. Le
système, hypertrophié, aura
fini par exploser.
Quelle révolution ?
Pour l’heure les Islandais
attendent l’accouchement de
leur nouvelle constitution et
débattent encore sur l’oppor-
tunité d’adhérer à l’Union
européenne et à la zone Euro.
Les avis divergent. Les uns pré-
férant laisser flotter leur pe-
tite monnaie et profiter d’une
inflation vertigineuse (plus de
40%) qui « dope » les exporta-
tions, continuer d’échapper
aux quotas imposés par l’UE.
Les autres hésitant entre l’ad-
hésion sans la monnaie unique
ou avec. Le débat à Reykja-
vík est loin d’être tranché,
y compris dans la coalition
gouvernementale, à l’instar
du ministre de l’Économie
social-démocrate partisan de
l’euro et de son homologue des
Finances qui défend les vertus
de la couronne. La révolution
n’est pas inscrite en lettres
d’or dans les programmes ni
les consciences. Reste que l’Is-
lande doit faire face à une fuite
de ses cerveaux comme jamais.
Et à un endettement de mil-
liers de familles dont certaines
risquent de se retrouver sans
toit dans les mois qui viennent.
Par Philippe Meunier
Le temps des cerises au
pays de glace et de feu ?
« Les nouveaux banquiers, ces fameux «nou-
veaux vikings», encensés comme des héros
nationaux, ont engagé dix fois le produit
intérieur brut du pays à l’étranger. »