Milli mála - 01.01.2013, Blaðsíða 256
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bliques. La tempête est une épreuve divine ; on songe à la fuite de
Jonas, au voyage de saint Paul, au miracle du Christ sur le lac de
Tibériade, à saint Nicolas apaisant la tempête pour laisser un navire
rentrer au port. Le Roman de Brut fournit à deux reprises une remar-
quable description de tempête, avec force détails sur l’état du ciel,
de la mer et du vent. Wace semble avoir servi de modèle à d’autres
auteurs de son temps, au point qu’Augustin Jal écrivait (Jal 1840-I :
192) : « Pour les descriptions de tempête, il y avait chez les poëtes
de l’époque où vivait le Normand Wace de certaines formes don-
nées, une sorte de moule, où des idées, toujours à peu près les mê-
mes, s’arrangeaient avec les mêmes mots. »
On retrouve en effet des descriptions assez semblables dans le
Roman d’Eneas et le lai Guigemar de Marie de France, œuvres toutes
deux rédigées vers 1160, mais aussi chez Thomas, qui a écrit un
Tristan entre 1172 et 1176. Pour la mise en scène de sa tempête,
Marie doit beaucoup à l’auteur de l’Eneas, tandis que Thomas sem-
ble s’être inspiré d’un passage du Roman de Brut. Est-il cependant
nécessaire de faire systématiquement appel à la réécriture d’un topos
à partir d’un modèle original pour expliquer la description de scènes
maritimes chez nos auteurs normands et anglo-normands ? Si
Thomas réutilise des images qui figurent chez Wace, il a su aussi
parfaitement décrire le comportement d’un gréement face à une
tempête et la complexité de sa manœuvre par l’emploi de quelques
termes techniques. Ne pourrions-nous pas aussi invoquer une fami-
liarité de la mer due à des traversées régulières entre la Grande-
Bretagne et le continent ? Car n’oublions pas la particularité géopo-
litique du royaume anglo-normand, qui s’étendait de part et d’autre
de la Manche.
En dehors du Voyage de saint Brandan qui suit assez fidèlement le
récit latin d’origine et qui narre la navigation, au vie siècle, d’un
grand coracle irlandais (navire construit en peau sur une armature
de bois)6, toutes les scènes de marine dépeintes dans les œuvres que
nous venons de citer sont anachroniques par rapport au temps de la
6 Le Voyage de saint Brandan ne comporte quasiment aucun terme technique de marine. Excepté les
verbes beita, ‘diriger, gouverner un navire’, et eschiper, ‘équiper un navire’, l’auteur emploie un
lexique maritime courant, parfaitement compréhensible de tous. Le vocabulaire du gréement uti-
lisé par Benedeit se résume au substantif corde, ‘cordage’
DES TEXTES DE MARINE EN DIALECTE NORMAND DU XII e SIèCLE