Milli mála - 01.01.2013, Blaðsíða 271
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Les termes nautiques d’origine gauloise sont quasi inexistants, tan-
dis que le latin qui formait le cœur lexical de l’ancien français n’est
plus qu’un substrat : seuls quatre mots se rapportant au gréement
et à la navigation ont survécu dans le dialecte normand. Les Celtes
ont pourtant bien pratiqué une navigation maritime au cours de la
période dite gallo-romaine, dont témoignent des vestiges de cargos
de mer découverts dans les ports de Londres (épave de Blackfriars 1),
Bruges et Saint Peter à Guernesey (Marsden 1976, 1994 ; Rule et
Monagham 1993). Datés entre le iie et le iiie siècle, ces vestiges
navals comportent des caractéristiques communes qui en font un
ensemble architectural homogène (MacGrail 2004). Mais la culture
nautique des Celtes ne semble pas avoir survécu après la chute de
l’Empire romain, même si l’on perçoit des continuités architectura-
les comme le suggère l’épave de Port Berteau (c. 600) mise au jour
en Charente, qui montre que la tradition navale celtique s’est peut-
être poursuivie localement (Rieth et al. 2001). D’autres raisons
peuvent aussi être invoquées : l’éloignement chronologique et la
faible présence de sources écrites, suffisamment étoffées, qui auraient
pu nous transmettre un vocabulaire nautique spécifique à la langue
gauloise.
Cette méthode de « stratigraphie lexicale » permet de retrouver,
en revanche, un héritage souvent ignoré, celui des Germains (Ridel
2009b : 214–215 ; 2010 : 12–15)16. La langue d’oïl a conservé
quelques termes de gréement et d’accastillage légués par des bate-
liers et des marins germaniques. Les uns se réfèrent à l’appareil de
gouverne (estiere, hel), tandis que les autres se rapportent au grée-
ment dormant (mast, estai) et courant (sigle, lof, lispreu), aux manœu-
vres (haler) et à la navigation (wacrer). Malgré l’absence de gréement
mentionné par les auteurs anciens sur les navires utilisés par les
Germains (Lebecq 2007 : 53), ces derniers n’ignoraient probable-
ment pas les pratiques de navigation sous voile qu’ils avaient expé-
16 À notre avis, William Sayers (1997) ne tient pas suffisamment compte de cet héritage germani-
que : des termes tels que étai, estiere, haler, lispreu, lof, wacrer sont incompatibles d’un point de vue
phonétique, sémantique et chronologique avec une étymologie scandinave. En général, Sayers a
excessivement « scandinavisé » le vocabulaire nautique de l’ancien normand ; il prend pour scan-
dinaves des formes ou des dérivés internes à la langue d’oïl : par exemple heneker, l’une des nom-
breuses variantes de harnacher (lui-même dérivé de harnais), n’a rien à voir avec le verbe scandinave
hnekkja, de même qu’estreindre (du latin stringere, ‘serrer’) avec strengja. Si ressemblances il y a, elles
sont dues au fonds commun indo-européen.
ÉLISABETH RIDEL