Le Nord : revue internationale des Pays de Nord - 01.06.1940, Page 66
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LE NORD
une déclaration qui peut étre considérée comme la devise de son
attitude á Carlstad: « J’accepterai tout ce que je pourrai justi-
fier devant ma conscience sans me demander comment les autres
me jugeront. Mais je ne consentirai jamais á désarmer mon pays,
sans le garantir contre les agressions ». Il y aura peut-étre des
gens, surtout des militaires, qui seront tentés de qualifier de na'ive
l’idée qu’une zone neutre pacifique constituerait une garantie
contre les agressions. Mais en cette matiére le jugement sera sans
doute dans une certaine mesure différent si la pensée est tournée
vers le passé ou si elle est orientée vers l’avenir, si l’on croit ou
non á la possibilité pour des peuples civilisés de s’élever audessus
de la mentalité de guerre. Rappelons la convention Rush-Bagot
de 1818 entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, qui fixa
la zone non fortifiée qui forme la frontiére entre les deux États.
Elle tient depuis des générations. Personne ne pense á la rompre.
Personne en Norvége ni en Suéde ne réve d’une agression contre
l’autre pays.
Je voudrais encore, pour bien faire la lumiére sur cette ques-
tion, citer un propos tenu devant moi en été 1905 par un Suédois
libéral, ami de la Norvége, á qui j’exprimais mes inquiétudes au
sujet des fortifications de la frontiére. « Je vais te raconter ce
que m’a dit un officier, un de ceux qui accepteraient volontiers
une guerre contre la Norvége: Pourquoi le Riksdag a-t-il formulé
la demande de la démolition des fortifications norvégiennes? Si
les Norvégiens acceptent cela, nous ne pourrons jamais entrer
par lá, car ce serait commettre un acte de traítre ». Cette idée
m’a été répétée, presque dans les mémes termes, en automne par
un des dirigeants de l’Europe, et la nuit ou la zone neutre paci-
fique avait été définitivement adoptée á Carlstad, un des délégués
suédois me dit que cette décision péserait sur sa conscience. « Si
la Suéde est entraínée dans une guerre et que la Norvége profite
de la situation pour attaquer Göteborg, nous n’aurons donc pas
le droit de franchir la frontiére de la Norvége? »
C’était logique. Mais le monde n’est pas logique. Je répondis:
« La Norvége ne fera jamais cela ».
La convention fixant une zone pacifique était sincére de part
et d’autre. Je n’ai jamais cru un seul instant que la Suéde la
rompít. S’il était quand méme pénible de signer un traité comme
celui relatif aux fortifications, c’était parce qu’il s’est agi ici d’une
affaire de sentiment. La délégation norvégienne pourtant n’hési-
tait pas lorsque le traité était définitivement rédigé, s’il fallait faire