Islande-France - 01.10.1948, Side 9
ISLANDE - FRANCE
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tables, toute discussion étant écartée.
Si la rime finale était encore rare au
Xe siécle dans la poésie européenne,
elle existait cependant. On la rencon-
ti-e d’abord dans les poésies religieu-
ses latines. Par ailleurs “The
Rhyming Poem“, composé en anglo-
saxon, offre un métre trés apparenté
au “runhenda”. Des savants britan-
niques ont quelquefois estimé qu’il
était une imitation de celui du
“Höfudlausn”. La cliose est trop in-
vraisemblable. Egill avait vécu avec
Athelstan, roi d’Angleterre. S’il avait
peu appris l’anglo-saxon et encore
moins le latin, il savait écouter, avec
un sens trés vif de la sonorité et du
i-ythme, les ])oésies qu’il entendait
réciter. Puisque la rirne finale était
utilisée et que les Anglo-Saxons la
connaissaient, il nous faut imaginer
les clioses de la faQon la plus naturel-
le, et le röle d’Egill ne se trouve pas
amoindri par le fait qu’il sut mettre
á prof'it ce dont il avait été témoin.
Quand plus tard, en Angleterre, il
eut á produire un poéme devant une
cour qu’il devait émouvoir et oii il
pouvait bien se trouver des audi-
teurs anglo-saxons, l’idée lui vint
d’utiliser une métrique qui fut selon
lc gout de ces mémes Anglo-Saxons,
et qui constituát aussi une nouveauté
pour les Nordiques.
On se fait généralement d’Egill
Skallagrimsson une image telle qu’on
a de la peine á croire qu’il ait eu un
gout plus ])oussé que les poétes
nordiques qui l’avaient précédé ou
que ses contemporains pour la
ciúture occidentale ou méridionale.
Le “Höfudlausn” en fournit pourtant
la preuve. Et d’autres observations
indiquent la méme cliose: nous avons
eu l’occasion, dans des travaux pré-
cédents de montrer qu’Egill est le
premier individu germanique dont
nous puissions connaítre á fond la
pcrsonnalité. C’est un poéte qui
constamment s’observe et se décrit
lui-méme, qui constamment parle de
ses chagrins et de ses doutes, de
ses peines et de ses consolations, rap-
porte ses disputes avec son dieu et
ses réconciliations: et tout cela avec
une franchise dont on ne trouve pas
d’exemple chez les poétes nordiques
qui lui succéderont pendant de nom-
breux siécles. Ce u’est pas seulement
l’Islandais fortement enraciné dans la
vieille culture nordique, c‘est un
homme qui a pris contact avec unc
autre civilisatiou que la sienne, celle
de l’Europe.
II avait eu pour parents des gens
nés et élevés en Norvége. II avait lui-
méme fait de longs séjours á l’é-
tranger pendant ses années de forma-
tion. Etait-il Norvégien ou Islandais?
A quel moment l’Islande a-t-elle pos-
sédé. une culture particuliére? Les
Islandais ont quelquefois été enclins,
et d’autres avec cux, á considérer
leur pays comme ayant été autrefois
une sorte de “dépöt frigorifique” ou
de vieux souvenirs, de vieux chants
auraient été conservés intacts mieux
qu’aillcurs, et cela á cause de l’isole-
ment du pays qui le mettait á l’abri
des influences extérieures, á cause
aussi du petit nombre de ses habi-
tants et de leur conservatisme
enraciné: c’est ainsi que les Islandais
auraient pu garder le souvenir de^s