Islande-France - 01.10.1948, Síða 30
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ISLANDE - FRANCE
membres du Jury Théophraste-Re-
naudot ont été fidéles a leur mis-
sion de révélation en distinguant un
jeune romancier pour son oeuvre
initiale et en lui ouvrant les portes
de la renommée.
Une autre remarque, plus
sérieuse, puisqu’il s’agit d’une omis-
sion - s’inscrit aussitöt aprés ces con-
statations de tendance. Aucun des
trois grands Prix ne s’est ari’été sur
le í’oman de M. Hervé Bazin, dont
Vipére au Poing a pourtant provoqué
un vif mouvement á la i'ois dans la
presse et la critique, et dans le pu-
blic, se présentant comme étant la
manifestation la plus éclatante de
la composition romanesque. Trois
motifs, de nature trés différente, ont
été donnés á cette désaffection: le
succés méme de cette oeuvre, parue
en juin et qui bénéficia de trés
nombreux articles de lancement; son
classement, en deuxiéme position,
dans le Prix des Lecteurs; enfin le
sujet méme de Vipére au Poing, ro-
man ápre, dur, terrible de la haine,
- un “Poil de Carotte” au picrate!
On ne saurait raisonnablement
retenir les deux premiers arguments;
le röle des Prix étant de dire quel
est le meilleur ouvrage, méme si
d’autres l’ont proclamé avant eux.
Le dernier “motif” se référe á une
coneeption purement subjective; il
a pu paraitre légitimement périlleux
á certains juges (qui ont fait triom-
pher leurs tendances) d’orner d’une
palme officielle une composition
qui s’attaque si délibérément á cer-
tains séntiments intimes et sacrés de
la famille et du foyer. II n’en reste
pas moins que ce roman pro-
digieux (dans tous les sens
du mot) demeure la grande
et trés authentique réussite de la
saison. Sur le droit moral de I’écri-
vain á disposer de lui-méme et de
ses personnages, il y aurait beau-
coup á écrire, — de méme que sur
le droit moral des juges á écarter
d’une sorte de consécration officielle
un tel livrc á explosion. II est bon
que le public soit juge en dernier
ressort. D’instinct, il ira á cette
oeuvre magnifique, mal comprise et
surtout mal interprétée. II est par-
fois bon de ne pas avoir obtenu de
prix. Un sentiment de compensation,
dc rectification et de réparation ar-
rive, de la part du lecteur moyen,
á rétablir l’équilibre.
Ces considérations n’entachent, en
aucune fagon, les mérites des oeuv-
res réguliérement couronnées; ni les
qualités des auteurs primés. En Em-
manuel Roblés, les Dames du Prix
Femina ont “confirmé” un écrivain
de 34 ans, auteur de trois romans,
d’un recueil de nouvelles, d’une piéce
dc théátre et responsable de tra-
ductions de F. Garcia Lorca et de
Serrano Plaja. Son quatriéme roman
“Prix Femina” a pour titre Les
Hauteurs de la Ville; c’est l’histoire
cursive, dense - ou passe et repasse
l’influence d’Albert Camus - de la
vengeance d’un jeune musulman qui
se dresse en justicier devant un
pourvoyeur du Service du Travail
Obligatoire, sous l’occupation en
Algérie, au cours des années 1943
1944. Les “Hauteurs” de cette ville,
sont celles d’Alger.