Milli mála - 01.01.2013, Blaðsíða 257
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fiction. Si la légende de Tristan et Yseut est censée se dérouler au
vie siècle, les quelques scènes de marine dépeintes par Thomas, dans
sa version écrite en français vers la fin du xiie siècle, renvoient plus
sûrement à sa propre époque. Les navires et les manœuvres décrites
à bord semblent bien appartenir au contexte technico-culturel de la
fin du xiie siècle. De telles remarques peuvent également s’appli-
quer à la flotte du roi Arthur dans le Roman de Brut, où Wace décrit
en fait les navires de son époque. Le trajet Southampton-Barfleur
entrepris par la flotte d’Arthur représentait une liaison maritime
régulière du temps de Wace. C’était l’une des routes les plus suivies
par l’esnèque royale (esnecca regis)7 des ducs de Normandie et rois
d’Angleterre au cours de leurs nombreuses traversées de la Manche
tout au long du xiie siècle, en particulier sous le règne d’Henri II
Plantagenêt qui était contemporain de Wace. Comme l’a démontré
avec pertinence John Le Patourel (1982), qui a remarquablement
étudié la question, « la mer servait à maintenir ensemble les pays
régis par Henri II plutôt qu’à les séparer » (Le Patourel 1982 : 332).
Pour ce faire, le duc-roi utilisait un navire très rapide d’origine
scandinave, l’esnèque, qui marchait aussi bien à la voile qu’à la rame
(Ridel 2005 : 63 ; 2009 : 77–78). Lorsque Wace narre brièvement
l’embarquement de Guillaume le Roux dans une esnèque (esnege), il
décrit plutôt un navire du xiie siècle qu’une embarcation du siècle
précédent. Il est en effet question de haler à bord des batels (c’est-à-
dire des bateaux, au sens premier du terme : ‘petites embarcations,
annexes de navires’) et des anchres, ce qui suppose que l’esnèque du
xiie siècle était plus importante que celle du xie siècle8. Que ce soit
dans son Roman de Brut ou dans son Roman de Rou, Wace ne fait que
transposer les réalités nautiques de son époque à des temps plus
anciens.
Un autre axe maritime était utilisé par les esnèques royales au
xiie siècle. Plus court mais paradoxalement moins emprunté, celui-
ci allait de Douvres à Wissant ; ce passage par l’est semble avoir été
7 De l’ancien scandinave snekkja qui s’appliquait au xie siècle à un navire de guerre d’environ
20 bancs de nage (Ridel 2009 : 77–78, 200–201).
8 L’esnèque de Richard I comportait 60 hommes d’équipage et un pilote (Le Patourel 1982 : 331).
La Blanche Nef qui coula au large de Barfleur en 1120 était probablement de type snekkja, mais de
plus grandes dimensions : Orderic Vital précise qu’elle était propulsée par 50 rameurs, ce qui en
fait un navire d’environ 25 bancs (Ridel 2005 : 71–72, 2009 : 77).
ÉLISABETH RIDEL