Milli mála - 01.01.2013, Page 269
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xiie siècle. Pour connaître leur sens, force est de se livrer à une ana-
lyse étymologique approfondie (dont les résultats sont fournis dans
le glossaire en annexe)15. Nous verrons alors combien la technicité
des termes de marine est liée à l’emprunt lexical, qui représente « le
phénomène socio-linguistique le plus important dans tous les
contacts de langues » (Dubois et al. 1973 : 188).
La langue des marins est probablement la langue de spécialité
qui a le plus emprunté au fil du temps. En général, les termes tech-
niques passent directement dans la langue emprunteuse avec leur
acception nautique. Ce passage lexical, qui s’est effectué de marins
à marins, rend de ce fait totalement opaque leur compréhension à
des personnes qui n’évoluent pas dans le monde maritime. Un seul
exemple suffira pour illustrer ce phénomène. Le terme de gréement
hoben (forme moderne hauban), qui désigne les forts cordages servant
à maintenir le mât latéralement, est issu d’un étymon d’ancien scan-
dinave höfuðbenda composé de deux mots, höfuð, ‘tête’, et benda,
‘lien’, et qui signifie donc ‘lien du sommet (sous-entendu du mât)’.
Il est évident que le sens primitif de ce substantif n’était compré-
hensible que pour des locuteurs de langue scandinave et qu’en pas-
sant en langue d’oïl, il a directement été intégré comme terme
technique de marine. Aussi, afin de comprendre comment s’est pro-
gressivement constituée une langue propre aux marins au xiie siè-
cle, il faut analyser le vocabulaire maritime par couche lexicale de
manière à refléter les différentes langues des peuples qui se sont
succédé sur le territoire de l’ancienne Gaule, mais aussi les diffé-
rents apports techniques de chacun d’entre eux.
4.2. Une « stratigraphie lexicale »
Le lexique de l’ancien français est essentiellement issu du latin qui
s’est imposé en Gaule après la conquête romaine au milieu du ier siè-
cle avant J.-C. Les Gaulois n’ont laissé qu’un maigre héritage au
point que l’on compte moins de 200 mots qui ont survécu jusqu’à
15 Il était impossible dans le cadre d’un article de revue, forcément limité en nombre de mot, d’offrir
un glossaire complet comportant les discussions morphologiques, phonétiques et sémantiques qui
ont permis de déterminer l’étymologie des termes de marine normands médiévaux, aussi nous
renvoyons à nos travaux précédents traitant de la question : Ridel (2007) et Ridel (2009a).
ÉLISABETH RIDEL