Milli mála - 2017, Page 111
FRANÇOIS HEENEN
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Concernant le passé composé maintenant, supposons qu’il n’en-
code pas la même procédure non-temporelle que l’imparfait et per-
met la sélection du contexte initial comme contexte d’interprétation.
Cela expliquerait les trois propriétés présentées p. 106. Une intepré-
tation à travers le contexte le plus accessible éveille la présomption
que l’énoncé est formulé de telle manière que cette contextualisation
s’opère avec un moindre coût d’énergie cognitive. De là viendrait
cette importance de l’encodage et la récalcitrance de l’interlocuteur
de saturer le schéma E > S par voie inférentielle, qui est toujours plus
compliquée et plus coûteuse. De là viendrait également la possibilité
pour l’interlocuteur de ne pas déterminer le moment du passé de E
si la forme logique de l’énoncé était déjà pertinente dans le contexte
initial21. Quant à la lecture rétroactive, comme expliqué plus haut,
elle n’est tolérée au passé composé que si elle contribue positivement
à la production d’effets cognitifs dans le contexte initial.22
7. L’interprétation itérative sans support du co-texte
Dans cette section je vais m’intéresser particulièrement au cas
d’interprétation itérative des énoncés à l’imparfait, sans marqueur
explicite. Mon opinion est que cette possibilité d’interprétation est
due au fait qu’à la différence du passé composé l’imparfait autorise
naturellement la détermination du schéma temporel E > S par infé-
rence. Voici un tel exemple :
25) « le tribunal correctionnel du Havre jugeait hier une
jeune femme de 33 ans une voyante accusée d’avoir abu-
21 Il y aurait un parallèle à faire avec ce que Damourette & Pichon appellent « la fonction d’acquêt »
du passé composé (voir Jacques Damourette et Édouard Pichon, Des mots à la pensée . Essai de gram-
maire de la langue française, Paris : D’Artrey, tome V, 1911–1936) qui est de manifester un état
impliqué par le procès comme vrai au moment de l’énonciation. On peut considérer en effet que
ce que ces auteurs appellent « état impliqué par le procès » correspondrait dans le cadre de mon
explication à l’implication contextuelle faite par l’interlocuteur dans le contexte initial une fois que
la forme propositionnelle de l’énoncé y est intégrée. La notion d’« état impliqué » ou d’« état
résultant » est largement exploitée dans les analyses du passé composé de de Saussure, Temps et
Pertinence : pp. 232–327 et de Luscher et Sthioul, Emploi et interprétations du passé composé:
pp. 187–217 ainsi que de nombreux autres chercheurs.
22 Mon analyse de l’effet rétrograde dans les énoncés au passé composé va donc dans le même sens
que celle de Louis de Saussure dans de Saussure, Temps et Pertinence : pp. 235–236 qui fait remar-
quer que le passé composé n’encode pas de procédure interdisant cet effet mais qu’il est limité au
cas où la détermination du schéma E2-E1 n’exige pas un coût d’énergie cognitive excessif.