Gripla - 01.01.2003, Blaðsíða 125
LA MORT EDIFIANTE DE CHARLEMAGNE
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burlesque éditée par Aebischer.36 La présence de l’épisode du voyage á Jéru-
salem dans la branche X est au contraire justifíée par la tonalité édifiante des
récits qui l’entourent, bien que reprenant des motifs similaires á ceux du
« fabliau » épique que nous avons conservé. Charlemagne y est associé á la
translation des reliques et á l’instauration des cultes á Saint-Denis, á Aix ; sa
personne est désormais liée au nom des saints : dans notre texte, saint Salvius,
saint Jacques, saint Servais, tous de grands personnages thaumaturges. II
devient enfin lui-méme « roi thaumaturge », et sa mort le fait immédiatement
passer dans la catégorie des personnages sacrés.
La vision de Turpin qui dans la Karlamagnússaga annonce le jugement de
l’áme de Charlemagne, se rattache elle aussi á la tradition des visions de l’au-
delá et des réves apocalyptiques évoquée plus haut. La participation de
Charlemagne au développement de cette littérature édifiante commence avec
la vision du moine Wettin, dont l’expérience fut rapportée par l’abbé
Walafried Strabo entre 842 et 849. Rappelons que dans ce récit, le visionnaire
voyageant dans l’au-delá apergoit, parmi les ámes en proie aux tourments
purgatoires, celle d’un roi (le nom n’est pas clairement mentionné dans le récit
mais il s’agit bien de Charlemagne) torturé á l’endroit des parties génitales.
Toutefois, précise celui qui guide le moine dans son voyage, il sera fmalement
sauvé aprés avoir purgé sa peine.37
C’est lá une des premiéres occurrences de la légende du péché de
Charlemagne, dont la Karlamagnússaga est un des plus importants témoins.
Cette légende a existé sous deux formes, comme le rappelle Rita Lejeune :
l’une, « discréte », ne spécifie pas la nature du péché (l’inceste avec sa sœur,
union dont serait né Roland) et l’autre plutót indiscréte.38 Dans les deux cas,
l’histoire représente Charlemagne omettant d’avouer ce péché á son con-
fesseur, saint Gilles. Ce demier apprend pourtant la nature du péché par une
lettre déposée miraculeusement sur la paténe alors qu’il célébre la messe.
Confondu, Charlemagne se repent et est alors pardonné. C’est la version
« indiscréte » qui figure dans la Karlamagnússaga, branche I, chapitre 36.
Non seulement l’épisode fonctionne ici comme rappel d’un motif évoqué au
début de la compilation, mais il agit aussi comme une le§on morale.
36 C’est dans la branche VII qu’on retrouve une adaptation du poéme, qui était donc bien connu.
37 La vision de Wettin est traduite par A. Micha, Voyages dans I ’au-delá.
R. Lejeune, « Le péché de Charlemagne et la Chanson de Roland », dans Homenaje a
dámaso alonso, II, Studia philologia, pp. 339-371.
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