Gripla - 01.01.2003, Blaðsíða 127
LA MORT ÉDIFIANTE DE CHARLEMAGNE
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étant essentiellement consacrée á son culte), et les pierres qui font pencher la
balance sont nommément interprétées comme celles des églises.40 On retrouve
dans Ie miracle de Wallterus tous les motifs de la Visio Turpinis : l’áme sur le
point d’étre condamnée, le saint intercesseur, le salut in extremis. Sur le plan
de la transmission, si l’on ignore comment et pourquoi il est venu prendre
cette place á la fin du manuscrit B de la saga de Charlemagne, on doit
admettre qu’il n’y est pas déplacé, et l’on peut supposer qu’il a été conservé
dans un ensemble qui le réunissait aux autres récits.
Mais la Vision de Turpin est aussi un avertissement aux rois. Si I’on met en
relation cet épisode avec les autres textes qui l’entourent, on est frappé par
l’insistance qu’on y met á défendre la suprématie de l’Eglise et la soumission
que cette demiére est en droit d’attendre des rois. Dans la vision, l’áme de
Charlemagne accablée d’un péché mortel est finalement sauvée par les
pierres des églises et monastéres qu’il a bátis. Dans les chapitres 4 á 5, il est
question, tout d’abord, de la lutte que mena l’évéque Salvius contre le roi
hérétique Chilpéric, puis de l’éclatante victoire de Dieu sur les spoliateurs de
l’évéque. Dans ce contexte, l’épisode mettant en scéne la legon donnée par
Amphiloque á l’empereur Théodose résonne d’échos politiques qui vont
jusqu’á estomper la conclusion premiére, qui était théologique.
Immédiatement á la fin du cinquiéme chapitre dans la version bl,
l’appendice lacunaire sur lequel s’achéve le manuscrit ne fait, quant á lui, que
reproduire le discours de la vision de Turpin, mais sur un autre mode41 : « Afm
que les hommes soient illuminés par la fagon dont Notre Dame sainte Marie
apprécia l’œuvre de l’empereur Charlemagne qui fit bátir pour elle une église
á Aix, il faut dire comment cette femme bénie voulut consacrer ses soins á
l’ordination de cette église ... ». C’est, lá encore, le théme du roi respectueux
du pouvoir ecclésiastique et bátisseur d’églises qui est retenu. Cette idée,
comme on le sait, est également centrale dans la chronique de Turpin, qui est,
directement ou par l’intermédiaire de Vincent de Beauvais, une des sources
principales de la KmsB.
Enfin, le contenu du chapitre 6 est ouvertement politique : Charlemagne,
en vertu d’un privilége unique dans l’histoire, nous dit-on, eut le droit de
40 L’image de la pierre est avant tout le symbole des œuvres accomplies pendant la vie humaine,
mais ici elle est aussi á prendre au sens propre, quand on sait á quel point le motif est fréquent
dans I’ensemble du cycle. La symbolique évangélique de ce mot est d’une richesse qui
n’échappe pas aux auteurs de miracles.
41 Cité d’aprés la traduction de D. Lacroix, p. 881.