Gripla - 01.01.2003, Síða 124
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tour d’authentifier les reliques et de justifier le culte voué au saint, dans une
abbaye ou dans une ville qui en tire un plus grand prestige. On trouve des
traces de ces légendes dans les églises elles-mémes, comme en témoigne le
célébre vitrail de la cathédrale de Chartres, réalisé á partir de la copie d’une
chronique que possédaient les chanoines.32
Bien que probablement tirée d’un passage interprété de la Vita d’Eginhard,
l’histoire du voyage de Charlemagne ne repose sur aucune réalité historique
précise. Mais son exploitation, liée á la canonisation, fut de grande ampleur ;
elle est ostensible dans certains centres urbains. Aix, devenue capitale de
l’empereur Frédéric, accueillit selon la légende la couronne d’épines et un
clou de la sainte Croix.33
Cette légende, élaborée sans doute á partir de plusieurs sources, devient
également perméable aux influences littéraires, á mesure qu’elle se confond
avec le théme des croisades au-delá du XI6mc siécle. La chanson du Voyage de
Charlemagne á Jérusalem et á Constantinople34 est le fruit de cette tradition
(passée, dans ce cas précis, au double filtre du modéle épique et de sa
parodie). Sur le fond, elle reprend de nombreux éléments de la légende
religieuse forgée dés le siécle suivant la mort de Charlemagne : 1) le voyage
en terre sainte et l’acquisition des clous et de la sainte couronne, 2) le détour
par Constantinople, motif qui fut introduit par la chronique du moine du mont
Soracte á la gloire de saint André.35 Sur la forme, en revanche, la chanson
présente toutes les caractéristiques d’un récit burlesque (Gaston Paris l’appelle
« fabliau »), puisqu’elle prend de maniére quasi blasphématoire le contre-pied
des éléments fondateurs de la légende religieuse. Mais elle s’appuie aussi, de
maniére ostensible, sur une solide tradition épique.
De leur cóté, les versions norroises du voyage de Charlemagne á Jérusa-
lem, qu’on trouve dans les branches I et X de la Karlamagnússaga, ainsi que
dans la Tveggja postola saga, associent stratégiquement Charlemagne á la
figure de l’apðtre Jacques. Aussi ne sont-elles pas dérivées de la chanson
32 Voir entre autres études celle d’Emile Mále, L’Art religieux du XIIIe siécle, Etudes sur
l’Iconographie du Moyen Age et sur ses sources d’inspiration. On peut ici rappeler que ce
vitrail a souvent été étudié en complément des textes épiques.
33 Au sujet du voyage á Jerusalem, voir par exemple le second livre de la Vita Sancti Karoli,
traité composé peu aprés la canonisation ; édité par G. Rauschen, Die Legende Karls des
Grossen im 11. und 12. Jahrhundert.
34 Le Voyage de Charlemagne á Jérusalem et á Constantinople, éd. P. Aebischer.
35 Cf. R. Folz, Le souvenir et ta légende de Charlemagne dans l ’empire germanique, p. 134, et
G. Paris, Histoire Poétique de Charlemagne, p. 337.