Milli mála - 05.07.2016, Blaðsíða 126
FRANÇOIS HEENEN
Milli mála 7/2015
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sujet dort cʼest-à-dire « …a les yeux fermés », « ...ne bouge pas »,
« ...ne parle pas », « ...est couché » etc. Cʼest la « vraie » action de dor-
mir alors que les phases initiales et finales sont indissociables de la
situation qui précède « sʼendormir » ou qui fait suite « se réveiller ». Il
est donc aisé par analogie de faire un lien entre ce quʼon appelle
« partie interne dʼune action » et « vue stéréotypée de lʼaction ». Si on
demande à quelquʼun de dessiner un homme ou une femme qui
dort, le dessin ne représentera pas la personne se couchant sur le lit
ou se levant, ce sera la représentation dʼun modèle que le dessina-
teur aura constitué en sʼaidant de sa mémoire encyclopédique de
lʼaction « quelquʼun dort ». La raison pour laquelle lʼimparfait
sʼaccorde à tous les verbes est donc tout simplement quʼil y a moyen
de se faire une vue stéréotypée de toutes les actions et que cʼest le
seul critère de compatibilité20.
5. Effets cognitifs limités et dépendance
de lʼimparfait
Le manque dʼautonomie est une caractéristique souvent citée de
lʼimparfait21. Pour lʼargumenter, on met en évidence lʼimpression
20 La vision « dilatée » de lʼaction ponctuelle « franchir une ligne dʼarrivée à vélo »
dont parle Pierre Le Goffic dans Pierre Le Goffic, « La double incomplétude de
l’imparfait », Modèles linguistiques XVI(1)/1995, pp. 133-148, ici p. 136, est équi-
valente à ce que jʼappelle la vision stéréotypée dʼune action : « on voit le pneu
de la roue avant passé de lʼautre côté de la ligne, alors que le reste de la roue, le
reste de la bicyclette, et le coureur lui-même, sont encore en-deça de ladite li-
gne ».
Il reste cependant à expliquer pourquoi certains adverbes ou groupes adverbiaux
rendent lʼinterprétation dʼun énoncé à lʼimparfait presque impossible. Ainsi, on a
du mal à comprendre « Jeanne rentrait chez elle de 6h à 7h », alors que « Jeanne
rentrait chez elle à 6h » ou « De 6h à 7h, Jeanne rentrait chez elle » ne posent pas
de problème. Lʼexplication serait peut-être que « de 6h à 7h » dans le premier
exemple, oblige à imaginer deux phases différentes, une phase interne et une
phase finale et que les hypothèses encyclopédiques du schéma {quelquʼun rentre
chez lui} ne correspondent pas à lʼaction quʼon imagine Jeanne en train de faire
à 7h.
21 Le manque dʼautonomie est lʼargument de base de l’approche anaphorique de
lʼimparfait. Pour un aperçu sur les travaux dans le cadre de cette approche, voir
Anne-Marie Berthonneau et Georges Kleiber, « Pour une nouvelle approche de
l’imparfait. L’imparfait, un temps anaphorique méronomique », Langages
112/1993, pp. 55-73.