Milli mála - 05.07.2016, Blaðsíða 147
HELGE VIDAR HOLM
Milli mála 7/2015
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sans le reconnaître. Dans la polémique lancée par Bourdieu contre
L’Idiot de la famille, les positions ‘bakhtiniennes’ prises par Sartre
dans son analyse des répercussions de la ‘protohistoire’ du roman-
cier, sont particulièrement intéressantes. Le jeune Mikhaël Bakhtine,
dans son essai « Auteur et héros dans le processus esthétique »5, sou-
ligne que toute œuvre d’art nécessite un regard du dehors, le regard
d‘un autre que l’autor, puisque le créateur ne peut pas tout seul voir
son objet créé, notamment son ‘héros’, dans sa totalité, tout comme
l’on ne peut se voir par derrière sans se servir de plusieurs miroirs.
Le créateur a besoin de l’Autre afin de réaliser l’objet de l’art ; dans
le discours romanesque, il a besoin du langage d’autrui. Les
concepts de polyphonie romanesque et de dialogisme linguistique,
que Bakhtine développera plus tard, dépendent fondamentalement
de cette position originelle chez le jeune Bakhtine : sans prendre le
langage d’autrui en compte constamment, un romancier ne pourra
vraiment faire avancer son art et ainsi contribuer à développer le
genre romanesque.
Dans un autre essai, « Du discours romanesque », Bakhtine pré-
cise que ce ‘polylinguisme’ est un trait inhérent à tout discours ro-
manesque :
L’image du langage dans l’art littéraire doit, par son essence, être
un hybride linguistique (intentionnel) ; il doit obligatoirement
exister deux consciences linguistiques, celle qui est représentée
et celle qui représente, appartenant à un système de langage dif-
férent. Car, s’il n’y avait pas cette seconde conscience représen-
tante, cette seconde volonté de représentation, nous verrions
non point une image du langage, mais un échantillon du langa-
ge d’autrui, authentique ou factice6.
201-235. Le présent article consiste en partie d’un développement à partir
d’analyses faites dans cet ouvrage.
5 Texte d’archives 1920-1930, resté inachevé et non repris par l’auteur. Probable-
ment rédigé au dans début des années 1920, cet essai important fut publié de fa-
çon posthume à Moscou en 1979 et en traduction française Mikhaël M. Bakhtine.
Esthétique de la création verbale, Paris : Gallimard, 1984.
6 Mikhaël M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris : Gallimard, 1978, p.
176. C’est l’auteur qui souligne.