Milli mála - 05.07.2016, Side 130
FRANÇOIS HEENEN
Milli mála 7/2015
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et le passé composé, qui « donnent au récit un tempo narratif accélé-
ré (« presto »)26.
Le processus de contextualisation particulier de lʼimparfait, tel
que je lʼai décrit dans la section 3 peut expliquer ces caractéristiques
dʼarrière-plan décrites par Weinrich. Les RS que le destinataire infère
en interprétant lʼénoncé à lʼimparfait, et quʼil nʼarrive pas à contex-
tualiser, restent accessibles dans sa mémoire aussi longtemps quʼil
cherche à les exploiter pertinemment. Dans un tel cas on peut dire
que les RS forment un arrière-plan : Un stock dʼimages mentales qui
ne contribuent pas à la progression du récit, mais qui aident le desti-
nataire à lʼinterpréter, et sur la présence desquelles le locuteur peut
compter27. Le cas typique où les RS ne se laissent pas contextualiser
est lʼimparfait dʼouverture :
8) « Jean rentrait chez lui. Il était fatigué après une dure journée de
travail. »
Imaginons que ces phrases forment le tout début dʼun récit. Le
contexte C que le destinataire a en tête à ce moment-là contient des
hypothèses vagues sur les effets cognitifs qui découleront du récit en
entier. De chacune de ces deux phrases, il doit cependant tirer au
moins une RS pour répondre à la demande de lʼimparfait, même sʼil
sait à lʼavance quʼaucune dʼelles ne sera contextualisable dans C. De
la première, il pourrait inférer {au moment T du passé Jean marche
dans la rue} ou {… est dans le métro}, de la seconde {au moment T
du passé Jean nʼa pas beaucoup dʼénergie}. À travers la présomption
26 Voir Gilbert Dalgalian et Daniel Malbert, Grammaire textuelle du français, Paris :
Didier/Hatier, 1989, p. 130, (traduction française de Harald Weinrich, Textgram-
matik des französischen Sprache, Stuttgart : Klett, 1982).
27 Des expérimentations réalisées par Joseph Magliano et Michelle C. Schleich ont
mis en évidence la rémanence d’un événement relaté avec un temps grammatical
imperfectif, en lʼoccurrence le progressif de lʼanglais. Un lecteur conservait enco-
re en mémoire active le souvenir de l’événement qu’il avait lu trois phrases aupa-
ravant si cet événement avait été exprimé avec une forme verbale imperfective
alors que le souvenir de l’événement s’estompait rapidement si le verbe était à un
temps perfectif. Il serait certainement utile de vérifier ces conclusions par des ex-
périmentations basées sur lʼimparfait. Voir Joseph P. Magliano et Michelle C.
Schleich, « Verb Aspect and Situation Models », Discourse Processes 29(2)/2000,
pp. 83-112.