Milli mála - 05.07.2016, Page 195
SARA EHRLING, BRITT-MARIE KARLSSON
Milli mála 7/2015
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La traduction de Crenne étant donc très libre, elle a souvent été
négligée17, voire carrément omise des ouvrages rendant compte des
traductions de l’Énéide au travers des siècles. Cela n’a cependant pas
été le cas de la traduction versifiée réalisée par Octovien de Saint-
Gelais18, qui n’hésite pas, lui non plus, à broder sur le texte original.
Le propos de la présente étude est précisément de dégager et
d’illustrer quelques variations que nous avons pu constater par rap-
port au texte source dans la version de Crenne du premier livre de
l’Énéide19. Vu l’importance de la traduction de Saint-Gelais, plusieurs
fois rééditée (entre autres en 1540, un an avant la parution de la tra-
duction de Crenne), nous rattacherons aussi les passages cités à ce
texte pour mettre au jour les rapports qui peuvent exister entre les
deux versions.
Avant de parler de la nature et des spécificités de la version
crennoise, il convient de rappeler en quelques mots quel est le sujet
de l’Énéide, ainsi que son contexte historique et sa réception.
concept d’adaptation est souvent utilisé dans un sens plus restreint, faisant allu-
sion à la transposition d’une œuvre d’art en un autre medium ou genre, comme
par exemple l’adaptation d’un roman au cinéma ou d’une pièce de théâtre en
comédie musicale. Selon Linda Hutcheon, avec Siobhan O’Flynn, A Theory of
Adaptation, Londres & New York : Routledge, 2013 [2006], p. 8, l’adaptation
représente 1) « An acknowledged transposition of a recognizable other work or
works »; 2) « A creative and interpretive act of appropriation/salvaging » ; 3) An
extended intertextual engagement with the adapted work ».
17 Patrick Amstutz, « Cinq grandes étapes dans l’art de traduire l’Énéide en français »,
Revue des Études latines 80/2002, pp. 13-24, ici p. 16, se contente de la mention-
ner dans une note.
18 Octovien de Saint-Gelais, Les eneydes de Virgille, translatez de latin en françois,
par messire Octovian de Sainct Gelais, en son vivant evesque d[’]angolesme. Re-
veues et cottez par maistre Jehan d[’]ivry, bacchelier en medecine, Paris : A. Vé-
rard, 1509. Nous avons légèrement modernisé l’orthographe dans les citations de
ce texte. Disponible sur le lien suivant : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71-
496m.
19 Nous avons auparavant examiné le quatrième livre de l’Énéide dans la version
crennoise, nous concentrant sur les portraits de Didon et d’Énée. Nous avons
alors pu constater, en comparant avec le texte de Virgile, que Crenne attribue un
rôle plus important à la passion en dépeignant les deux protagonistes : leurs sen-
timents sont plus accentués et l’amour les rend vulnérables d’une façon rappelant
l’œuvre précédente de Crenne : Sara Ehrling & Britt-Marie Karlsson, « A French
16th century edition of Virgil’s Aeneid: Hélisenne de Crenne’s version of the first
four books », Allusions and Reflections: Greek and Roman Mythology in Renais-
sance Europe, éd. Elisabeth Wåghall Nivre et al., Newcastle upon Tyne : Cam-
bridge Scholars Publishing, 2015, pp. 271-285.