Milli mála - 05.07.2016, Page 196
DIDON ET ÉNÉE DANS LE SEIZIÈME SIÈCLE FRANÇAIS
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2. La tradition de l’Énéide
L’Énéide, composé par Virgile (en latin : Publius Vergilius Maro) entre
l’an 29 et l’an 19 avant Jésus-Christ, doit quant à sa structure et les
événements qui y sont racontés beaucoup à l’Iliade et à l’Odyssée
d’Homère. Le lien à l’histoire, à la culture et à la mythologie grecques
était important au « siècle d’Auguste », la période de l’histoire romaine
qui a vu naître l’Énéide, et au cours de laquelle Octavien, devenu
empereur sous le nom d’Auguste, a instauré le Principat romain. Au-
guste était issu d’une ancienne famille de la Rome antique, les
« Iulii », en souvenir d’Iule, le fils d’Énée. Énée était selon le mythe, le
fils de la déesse Vénus, et tous ceux qui se prévalaient de sa des-
cendance, comme César et Auguste, pouvaient par ce lignage reven-
diquer des origines troyennes, et même divines.
À la différence d’Énée, le héros de l’Énéide, la femme protago-
niste des quatre premiers livres, Didon, semble avoir réellement exis-
té. Les légendes sur cette Didon « historique », précédant la version
virgilienne, soulignent le dynamisme de celle-ci20. Didon était une
princesse phénicienne qui s’est selon la légende enfuie de Tyr après
que son frère eut assassiné son mari. Après un périple aventureux
autour de la mer Méditerranée, elle arrive avec son peuple en Afri-
que du Nord. Là, elle réussit à obtenir tant de terres qu’il en pourrait
tenir dans la peau d’un bœuf. Elle déchiquette la peau, afin de pou-
voir s’approprier suffisamment de terres pour fonder sa nouvelle vil-
le, Carthage. Elle réussit ainsi à fonder Carthage pacifiquement et à
s’y établir. À cet égard, sa tactique diffère beaucoup de celle d’Énée
et son arrivée belliqueuse en Italie. Même s’il y avait eu un Énée, une
rencontre entre celui-ci et Didon aurait été historiquement impossi-
ble21, puisque Didon a vécu environ cent ans avant la guerre de
20 Timée de Tauroménion, historien grec (env. 356 à 260 av. J.-C.) dont les textes
sont perdus, semble être le premier historien grec à attribuer la fondation de Car-
thage à Didon. La version de l’historien romain Justin (en latin Marcus Junianus
Justinus), IIIe siècle, semble en gros correspondre à la version de Timée de Tau-
roménion (Justin 18-4-6 ; 8). Il y a aussi des chroniques tyriennes parlant d’une
Elissa, sœur du roi tyrien Pygmalion, qui serait partie pour fonder Carthage. Cela
aurait eu lieu en 814 avant Jésus-Christ. Voir James Davidson, « Domesticating
Dido : History and Historicity », A Woman Scorn’d : Responses to the Dido Myth,
éd. Michael Burden, Londres : Faber and Faber, 1998, pp. 65-88, ici pp. 65-69.
21 Ce que fait remarquer entre autres Servius, le commentateur sans doute le plus
important de l’époque de Crenne.