Milli mála - 05.07.2016, Side 204
DIDON ET ÉNÉE DANS LE SEIZIÈME SIÈCLE FRANÇAIS
Milli mála 7/2015
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Le début du texte de Crenne est différent : la narratrice commence
par annoncer que son récit parlera de la chute déplorable de Troie,
et aussi d’Énée, ce Troyen fugitif et persécuté par la déesse Junon :
J’ay proposé d’exhiber par mes escriptz, la ruyne & extermina-
tion de la tresinclyte & populeuse cité de Troye, pour manifester
les diverses batailles à icelle inferées par les Gręcz, lesquelz pre-
teritement l’annichillerent : & avec ce, veulx donner notice de ce-
luy qui apres telle deplorable expugnation, premierement vint de
la cité eversée pour habiter en la region Italique, & luy estant fu-
gitif, fut par divine puissance tant favorisé, que en Lavine vint
faire election de sa residence. Non obstant que d’anxieuse &
mortifere guerre fut agité, tant par les lieux maritimes que terres-
tres : Car Juno contre luy indignée feit insister à l[’]encontre de
son vouloir, dont il tollera extremes travaulx & peines premier
que par luy fut construitte, & edifiée ceste cité, de laquelle le
nom de Latin print origine, si en furent habitateurs les attediez &
fatiguez Troyens : lors du fondement de la cité nouvelle vindrent
en bruit les peres Albains & leurs posterieurs, Parquoy estant
chose fort ardue, & de perpetuelle memoire digne, tres humble-
ment je exore les Muses que de leurs sciences, ne me soient
avares, affin de divulguer quelle fut l’occasion qui stimula Juno
à persecuter celuy profugue Troyen, home de singuliere magna-
nimité remply. Qui la provocqua doncques telles laborieuses fa-
tigues luy propiner, puis qu’estant juste, peine n’avoit merité,
peult il bien estre qu’en l’interiorité des corps celestes se trouvent
cueurs qui à operation cruelle les incline ? Helas ouy. Mais pre-
mier que de la cause vous certiorer, vous narreray l’excellence
d’une cité magnificque, que Juno tres affectueusement favorisoit
[…].
(Les Eneydes, trad. Crenne, ch. II, fol. ii ro-vo)
Tout d’abord, nous pouvons constater que le passage de Crenne est
bien plus long que celui de Virgile, et qu’elle présente différemment
son sujet. Virgile chante les armes et l’homme (« arma virumque ca-
no »), ce qui, tout en faisant allusion à l’œuvre d’Homère38, est de-
puis l’Antiquité interprété comme faisant référence respectivement
38 « Arma » (« armes ») fait alors allusion au récit de la guerre de Troie dans l’Iliade ;
« virum » (« homme ») fait référence à Ulysse dans l’Odyssée.