Milli mála - 05.07.2016, Page 206
DIDON ET ÉNÉE DANS LE SEIZIÈME SIÈCLE FRANÇAIS
Milli mála 7/2015
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A homme juste et armes luy parer
Est il possible que les divins couraiges
Soyent remplis de si cruelz ouvrages
(Les eneydes, trad. Saint-Gelais, fol. Aiii ro)
Saint-Gelais choisit donc lui aussi d’interpréter les batailles dont parle
Virgile au début de son épopée comme celles de Troie, et non celles
d’Italie, ce qui est plus surprenant dans une traduction qui comporte
tous les douze livres de l’Énéide. Que Crenne se concentre dans son
introduction sur la chute de Troie est logique, puisqu’elle a choisi de
ne traduire que les quatre premiers livres des douze de l’Énéide, et
que les seules batailles qui y sont racontées sont celles de Troie. Cet-
te guerre était en même temps la cause de la fuite d’Énée et son arri-
vée subséquente à Carthage, et, par extension, de l’amour fatal, une
passion qui s’avèrera mortelle pour Didon. Le choix des quatre pre-
miers livres est sans doute aussi lié au fait que l’ancêtre mythique du
dédicataire François Ier, le Troyen Hector, est tombé à Troie, ce qui
explique pourquoi la traductrice, à la différence de Saint-Gelais, fait
préciser que la chute de cette ville est « déplorable » (« telle deplora-
ble expugnation »).
Nous pouvons aussi constater que la narratrice commente plus
explicitement les événements et le caractère des personnages, consta-
tant entre autres qu’Énée n’avait pas mérité la haine de Junon (« puis
qu’estant juste, peine n’avoit merité »). Crenne répond également à la
question posée par Virgile concernant la colère dans l’âme des
dieux : « […] peult il bien estre qu’en l’interiorité des corps celestes se
trouvent cueurs qui à operation cruelle les incline ? », affirmant que
leurs cœurs les inclinent effectivement à accomplir des actes cruels :
« Helas ouy. » En ceci le texte de Crenne se différencie de celui
d’Octovien de Saint-Gelais, qui suivait, lui, le texte source sans tran-
cher la question de la cruauté des dieux.
6. Élucidations et décorations
La page de titre précise donc que les ajouts faits par Crenne servent
non seulement à expliquer et à clarifier le texte de Virgile, mais aussi
à le décorer (« ce qui beaucoup sert à elucidation & decoration des-
dictz Livres »). Cette aspiration est conforme à celle de vouloir