Milli mála - 05.07.2016, Page 208
DIDON ET ÉNÉE DANS LE SEIZIÈME SIÈCLE FRANÇAIS
Milli mála 7/2015
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lectation en amaritude convertir, Car elle estant d’indignation
remplye, en elle mesme, dit ainsi […].
(Les Eneydes, trad. Crenne, ch. II, fol. iii ro)
En soulignant l’extrême cruauté de Junon, Crenne s’inspire peut-être
encore une fois de Saint-Gelais ; elle semble pourtant renforcer la fé-
rocité de la déesse. On pourra étudier comment en comparaison son
prédécesseur traita le même passage :
Quant pour certain juno par trop cruelle
Qui en son cueur gardoit playe immortelle
En elle mesme remplye de tristesse
Va dire […].
(Les eneydes, trad. Saint-Gelais, fol. Aiii v°)
Virgile, en réalité, s’en tenait, lui, à « la blessure éternelle qu’elle garde
dans son cœur » comme seule raison de l’hostilité de Junon envers
les Troyens :
cum Iuno aeternum seruans sub pectore volnus
haec secum […]
(Aen. 1. 36-37)39
quand Juno, gardant au cœur sa blessure éternelle, se dit ainsi
[…]
(Énéide, trad. Perret, p. 6)
Cette blessure est la conséquence du choix opéré par le prince
troyen, Pâris, lorsque celui-ci, devant décider quelle déesse était la
plus belle, se prononça en faveur de Vénus.
On peut également noter que la force des liens entre les parents
et leurs enfants est plus intense chez Crenne que chez Virgile : Énée
se fie à l’amour maternel pour obtenir l’aide de Vénus :
Et lors poursuyvant le divin sort fatal, avois esperance & confi-
dence totalle à ma mere qui est déesse scientificque & discrette.
Pour certain je me persuadois que l’affection maternelle, seure
conduicte nous deust donner […].
39 « […] quand Junon, conservant une blessure éternelle sous sa poitrine (dans son
cœur), dit ces paroles avec soi (en elle-même) […]. » (Trad. Sommer)