Milli mála - 05.07.2016, Page 212
DIDON ET ÉNÉE DANS LE SEIZIÈME SIÈCLE FRANÇAIS
Milli mála 7/2015
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Et mal veullance de Juno seullement
Dont a este traicte trop rudement
Et toy mesmes as eu dueil et tristesse
De ma douleur qui encor ne me laisse
(Les eneydes, trad. Saint-Gelais)
Crenne paraît donc ici souligner l’importance de l’affection filiale de
sa propre initiative.
Lorsqu’Énée fait chercher son fils au port pour le faire amener
dans la ville, le naturel de son sentiment paternel est souligné :
[…] toutesfois ne laissoyt d’avoir de son cher filz une solicitude
mentale : Car amour naturelle le stimuloit, pour à laquelle satis-
faire transmist au port son fidele amy Achates, pour instruire &
advertir Ascanye des grans honneurs & biens que la benignité
reginalle leur faisoit liberalement administrer : à l’occasion de-
quoy, il commanda qu’en la tres inclyte cité on l’ameine : Car en
celuy son filz sa seule cure & cogitation mettoit […].
(Les Eneydes, trad. Crenne, ch. XXV, fol. xxii vo-xxiii ro)
Ce genre d’explicitation était sans équivalent chez Virgile :
Aeneas (neque enim patrius consistere mentem
passus amor) rapidum ad nauis praemittit Achaten,
Ascanio ferat haec, ipsumque ad moenia ducat;
omnis in Ascanio cari stat cura parentis.
(Aen. 1. 643-646)47
Enée, car l’amour paternel ne permet pas le repos à son cœur,
dépêche en toute hâte Achate vers les navires, pour porter ces
nouvelles à Ascagne et l’amener lui-même dans la ville ; tous les
soucis de ce père bien-aimé sont pour Ascagne.
(Énéide, trad. Perret, p. 30)
Saint-Gelais, ne craignant aucunement le surplus de texte, n’exprime
pas, lui non plus, explicitement le côté « naturel » et contraignant de
47 « Énée (car l’amour paternel ne souffrit pas son esprit rester-en-repos) envoie-
devant Achate rapide (en toute hâte) vers les navires, afin qu’il porte ces nouvel-
les à Ascagne, et qu’il le conduise lui-même aux murs de Carthage : tout le souci
de ce tendre père est placé sur Ascagne. » (Trad. Sommer)