Milli mála - 05.07.2016, Page 215
SARA EHRLING, BRITT-MARIE KARLSSON
Milli mála 7/2015
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sa liberté d’agir. De l’œuvre émerge une traductrice – « dame Héli-
senne » – qui, tout comme Virgile, semble se mettre au service de sa
nation et de son souverain. La voix de la narratrice est nette et
l’approche est pédagogique. Certes, le récit de Virgile change, parfois
presque imperceptiblement, et, sans que cela soit annoncé,
d’orientation lorsque Crenne décide de faire ressortir de nouvelles
nuances de la palette52. Ainsi, les divinités sont chez Crenne plus in-
fluencées par leurs sentiments, tantôt bienveillants, tantôt hostiles ; el-
le accentue le lien affectif entre parents et enfants. Dans ce tourbillon
de passions, nous rencontrons également Didon et Énée, une femme
et un homme qui sont en leur for intérieur tiraillés entre amour et
devoir, entre leur destin divin et leur propre volonté. La version
crennoise de l’Énéide nous fait rencontrer une traductrice et interpré-
tatrice qui mène la narration, se révélant par là, à l’instar de son ho-
monyme, Didon-Elisse, être celle qui mène le jeu, une dux femina
facti.
52 Une constatation qui fait penser à l’affirmation de Marshall, The Aeneid and the
Illusory Authoress: Truth, fiction and feminism in Hélisenne de Crenne’s Eneydes
(p. 27) concernant le rôle des traducteurs : « translators are able to disguise their
hermeneutics and seamlessly incorporate their own preoccupations, while at the
same time investing their interpretation with authority through their self-
effacement. »