Milli mála - 01.06.2014, Blaðsíða 47
FRANÇOIS HEENEN
Milli mála 6/2014
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D’après cette remarque, la conception noncale nous fait voir le dé-
roulement des procès en parallèle avec notre propre conception du
monde au moment de l’énoncé. Quand je dis « il court » je conçois
chaque étape du procès « il, courir » comme synchronisée avec les
autres sensations que je ressens au moment de la parole (le moi-ici-
maintenant). L’adjectif « toncal » qualifie un ensemble de concep-
tions différentes de la conception noncal. Affirmer que l’imparfait
exprime le toncal permet donc d’expliquer la multitude de ses usa-
ges, mais cela revient également à lui confisquer sa valeur temporel-
le, puisque n’importe quelle autre époque que le présent peut être
toncale. Certains linguistes comme Emmanuelle Labeau14 et Lau-
rent Gosselin15 ont justement fait remarquer que cette définition
était trop large car elle accordait à l’imparfait l’expression du futur
ce qui n’est pas justifiable. Une autre critique est que si l’imparfait
n’indique aucune époque précisément, comment expliquer cette in-
tuition de l’action révolue dans des exemples décontextualisés
comme « je rentrais chez moi ».16
L’approche inactuelle est donc utile pour comprendre les usa-
ges contre-factuels ou modaux de l’imparfait mais ne convient pas
de la même manière pour décrire ses usages temporels. Voyons
maintenant comment Pierre Le Goffic décrit le sens délivré par
l’imparfait en se basant sur cette approche inactuelle :
Inaccompli certain non-présent, l’imparfait situe le procès verbal dans un
cadre référentiel qu’il ne détermine par lui-même que faiblement…[…], et
qui tire toutes ses déterminations du contexte. Ce domaine peut par
conséquent être le passé (passé réel de hier il faisait beau), mais aussi un pas-
sé fictif (l’instant d’après le train déraillait, au sens de aurait déraillé), ou un pré-
sent transposé, de style indirect (il a dit qu’il ne pouvait pas venir), un présent-
futur hypothétique après si (si j’étais riche, …), […] Nous considérons que
l’imparfait est bien le même dans tous ces emplois sans qu’aucun d’eux
14 Voir Emmanuelle Labeau, « L’unité de l’imparfait : vues théoriques et perspectives pour les
apprenants du français langue étrangère », p. 166.
15 Voir Laurent Gosselin, Temporalité et modalité, Louvain-la-Neuve : Duculot, 2005, p. 160.
16 Ibid., p. 3