Milli mála - 01.06.2014, Blaðsíða 107
IRMA ERLINGSDÓTTIR
Milli mála 6/2014
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Sujet-un, les « chanteurs de la dépense, poètes de la contestation,
[qui] arrachent le sujet à l’asservissement du moi, fendent le propre
[…] libérant le difficile enivrement de savoir que Je est bien plus
qu’un ».9
Notons en passant qu’un des « problèmes » de la question
du/de la « politique » est la double existence du mot au féminin et
au masculin et le fait que l’on donne, selon les locuteurs, un sens
différent au substantif. Cixous se sert la plupart du temps de la
forme masculine du mot quand elle parle de ses effets en littérature.
Il en va de même chez Jacques Derrida, qui réserve le plus souvent
la forme féminine à la politique gouvernementale (l’action politique
proprement dite) alors que la forme masculine est plus fréquente
dans le contexte de sa philosophie, par exemple dans Politiques de
l’amitié où il s’agit du concept du politique. Jacques Rancière, par
contre, emploie la forme féminine du terme par exemple dans Poli-
tique de la Littérature, mais pour définir des pratiques qui, sous plu-
sieurs aspects, sont à l’œuvre dans les textes d’Hélène Cixous et
dans la philosophie du politique de Derrida. Jacques Rancière utilise
fréquemment les mots « la politique » et « la démocratie » l’un pour
l’autre et ils passent dans certains de ses textes pour des synonymes.
Par l’emploi du terme au féminin dans des textes récents où il s’agit
de penser ensemble littérature et la politique, Rancière cherche, en-
tre autres, à donner sa force à ce terme dans une période où nous
vivons une crise profonde de la démocratie et de la politique ; il
s’emploie notamment à y inscrire autre chose que ce que nous
connaissons sous le nom de « la politique ». Derrida formule le pa-
radoxe de la pensée politique en disant qu’il faut politiser ce qui
n’est pas politisable : « on pense politiquement aujourd’hui quand
on pense la possibilité du politique à partir de son impossibilité. Ce
qui est non politisable, c’est cela la question politique ».10
Pour Rancière le croisement entre littérature et politique est
plus complexe et profond que l’ont laissé entendre les débats qui
mettent l’une face à l’autre. La question des rapports entre littératu-
9 Hélène Cixous, Prénoms de personne, Paris : Seuil, 1974, p. 10.
10 Hélène Cixous, Daniel Mesguich, Marie-Claire Ropars, Bernadette Fort et Jacques Derrida,
« Débat », dans Calle-Gruber, Hélène Cixous, croisées d’une œuvre, p. 463.