Milli mála - 01.06.2014, Side 44
LES USAGES STYLISTIQUES DE L’IMPARFAIT
Milli mála 6/2014
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fondamentale entre l’imparfait et le passé simple (et, de façon plus com-
plexe, le passé composé) en postulant que l’imparfait est imperfectif, parce
qu’il présente la situation dénotée dans sa phase médiane, en déroulement,
abstraction faite de son début et surtout de sa fin, alors que le passé sim-
ple est perfectif, parce qu’il la présente dans sa totalité, début et fin com-
pris.6
Dans l’exemple suivant nous pouvons apprécier l’effet de la valeur
imperfective en comparaison de l’effet perfectif du passé composé :
8) « Les voyageurs montaient/sont montés dans l’autobus. »
Avec l’imparfait on imagine des voyageurs montant dans le
bus, sans penser ni au début ni à la fin de l’embarquement, alors
que le passé composé insiste sur l’action globale.
Les principaux cas de variation de la valeur aspectuelle sont
l’imparfait narratif et l’imparfait de rupture où le procès exprimé à
l’imparfait semble conçu dans sa globalité. Cette interprétation glo-
bale est suggérée par le contexte ou le co-texte, c’est à dire les élé-
ments du texte qui précèdent ou suivent le verbe à l’imparfait. Dans
la majeure partie des exemples ci-dessous il serait possible de subs-
tituer le passé simple ou le passé composé à l’imparfait.
9) « Je… dit-il tout contre son oreille, et, à ce moment, comme par
erreur, elle tourna la tête et Colin lui embrassait les lèvres. Ça ne dura
pas très longtemps. »7
Le pronom « ça » faisant référence à l’action de
« embrassait », il est clair que l’action du baiser est vue comme
complète.
10) « Et lorsque le notaire arriva avec M. Jeoffrin, ancien raffineur
de sucre, elle les reçut elle-même et les invita à tout visiter en détail.
Un mois plus tard, elle signait le contrat de vente et achetait en même
6 Voir Anne-Marie Berthonneau et Georges Kleiber, « Pour une nouvelle approche de
l’imparfait. L’imparfait, un temps anaphorique méronomique », Langages 112/1993, pp. 55–
73, ici p. 55. Dans la note 2 en bas de la même page les auteurs citent brièvement d’autres
manières d’expliquer l’imperfectivité de l’imparfait comme la théorie de l’aspect sécant ou de
l’intervalle ouvert à droite. S’appuyant sur une remarque dans Paul Imbs, L’emploi des temps
verbaux en français moderne, Paris : Klincksieck, 4e éd., 1965, p. 90, ils sont d’avis que ces diffé-
rences dans la formulation ne sont pas importantes dans le cadre d’une définition générale de
l’aspect de l’imparfait.
7 Boris Vian, Lʼécume des jours, exemple cité originellement dans Jacques Bres, L’imparfait dit
narratif, Paris : CNRS Éditions, 2005, p. 7.