Milli mála - 01.06.2014, Page 48
LES USAGES STYLISTIQUES DE L’IMPARFAIT
Milli mála 6/2014
51
soit à considérer en droit comme premier, au pont de départ d’une exten-
sion vers les autres.17
On voit ici comment Pierre Le Goffic exploite la notion toncale de
Jacques Damourette et Édouard Pichon pour expliquer le lien entre
le sens de base de l’imparfait et ses différents usages : l’imparfait est
non-présent, son procès doit donc être situé dans un cadre référen-
tiel autre que celui du moi-ici-maintenant, et c’est là que ce procès
acquiert ses caractéristiques temporelles et modales propres. Un
progrès par rapport à la définition de Jacques Damourette et
Édouard Pichon est qu’en incluant le mode du certain dans sa défi-
nition, Pierre Le Goffic arrive à expliquer la différence entre
l’imparfait et le futur ou le conditionnel. L’imparfait exprime tou-
jours une assertion des faits, que ceux-ci soient conçus dans un ca-
dre réel ou irréel. L’effet de véridicité, ou effet dramatique, comme
certains l’appellent, caractérise son usage. On peut d’ailleurs appré-
cier cette différence de style en comparant un imparfait
d’imminence contrecarrée qui laisse imaginer le procès comme réel,
alors qu’un conditionnel insiste sur son irréalité :
13) « Encore un peu et je tombais dans le piège / Encore un peu et
je serais tombé dans le piège. »
Voyons maintenant avec un des exemples cités par Pierre Le
Goffic comment cette notion de cadre référentiel en partie indéfini
permet d’expliquer qu’un procès exprimé à l’imparfait peut tout
aussi bien prendre des caractéristiques de passé réel que de passé
fictif :
14) « Sans vous je m’ennuyais. »18
Le fait que l’imparfait n’indique pas précisément de cadre réfé-
rentiel incite le destinataire de cet énoncé à en chercher un. Il est
naturel que cette recherche l’encourage à interpréter l’action « je
m’ennuyais » à travers la situation la plus accessible, offerte par le
co-texte, celle désignée par le syntagme « sans vous ». Si cette situa-
tion désignée par « sans vous » est conçue comme réelle, la lecture
17 Le Goffic, « Que l’imparfait n’est pas un temps du passé », pp. 55–56.
18 Ibid., p. 64.