Milli mála - 01.06.2014, Síða 49
FRANÇOIS HEENEN
Milli mála 6/2014
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de « je m’ennuyais » sera un passé réel. Ce serait le cas par exemple
si le destinataire venait d’arriver et mettait fin à la solitude du locu-
teur. Mais si les deux interlocuteurs étaient ensemble depuis déjà un
certain temps, « sans vous » représenterait une situation fictive et la
conséquence serait une lecture également fictive de « je
m’ennuyais ».
Dans une publication ultérieure Pierre Le Goffic précise les
conceptions de non-présent et de cadre référentiel en introduisant
celle de « monde inaccessible au moi-ici-maintenant » : « Tous les
emplois de l’imparfait, temporels ou non, ont en commun une ca-
ractéristique de renvoyer à des mondes en un certain sens inacces-
sibles pour le moi-ici-maintenant du locuteur ».19 Cette nouvelle no-
tion lui permet d’expliquer facilement l’imparfait hypothétique et
l’imparfait de discours indirect où il sert selon lui à signaler un
monde inaccessible et étranger.
L’approche procédurale de Louis de
Saussure et Bertrand Sthioul20
Louis de Saussure et Bertrand Sthioul basent leur analyse de
l’imparfait sur les principes de la sémantique procédurale selon les-
quelles certaines expressions linguistiques, au lieu de communiquer
des informations conceptuelles, encodent des instructions dont le
destinataire se sert pour construire le sens de l’énoncé.21 Selon eux
l’imparfait encode une procédure en incluant dans son sens des va-
riables qu’il faut déterminer, en respectant certaines coordonnées.
Ces éléments sont un point de vue P à partir duquel est vu un évé-
nement E et qui est détaché du moment de l’énoncé S. Le destina-
taire voulant identifier P cherche dans le contexte ou la situation du
discours une référence temporelle passée, car c’est d’après Louis de
19 Le Goffic, « La double incomplétude de l’imparfait », p. 138.
20 Deux de leurs principaux articles sur l’imparfait sont Louis de Saussure et Bertrand Sthioul,
« L’imparfait narratif : point de vue (et images du monde) », Cahiers de praxématique 32/1999,
p. 167–188 et Louis de Saussure et Bertrand Sthioul, « Imparfait et enrichissement pragmati-
que », Nouveaux développement de l’imparfait, Textes réunis par Emmanuelle Labeau et Pierre Larrivée,
Cahier Chronos 14/2005, pp. 103–120.
21 Pour la sémantique procédurale voir Diane Blakemore, Semantic Constraints on Relevance, Ox-
ford : Blackwell, 1987.