Milli mála - 01.06.2014, Síða 50
LES USAGES STYLISTIQUES DE L’IMPARFAIT
Milli mála 6/2014
53
Saussure et Bertrand Sthioul la façon la plus naturelle de différen-
cier P de S :
15) « L’année dernière, j’étais à Genève. »
Le complément de temps « L’année dernière » constitue une va-
leur potentielle de P puisqu’il représente une période antérieure et
donc différente de celle de l’énoncé et dans les limites de laquelle il
est facile d’imaginer le procès « être à Genève ».
Ce type d’interprétation de base est appelé par Louis de Saussu-
re et Bertrand Sthioul « usage descriptif », un terme emprunté à la
théorie de la pertinence, et qui signifie que l’énoncé est la descrip-
tion d’un état de fait. 22 Si le destinataire n’est pas satisfait de cette
interprétation il conclura que l’énoncé représente une « pensée at-
tribuée ». Illustrons cette deuxième possibilité avec un exemple
d’imparfait d’atténuation :
3a) (A s’apprêtant à demander un service à son voisin B) « je
voulais vous demander un service »23
B sait que le procès « vouloir demander un service » est valide
au moment de l’énoncé et il lui importe peu d’être informé qu’il
était déjà vrai à un moment du passé. Abandonnant donc l’idée que
A soit en train de décrire un état de fait, il conclut que l’énoncé re-
présente une pensée et que P fait référence au moment où cette
pensée a été formulée.
Ce second type d’interprétation, appelé « usage interprétatif »
dans la terminologie de la théorie de la pertinence, rend compte de
tous les usages de l’imparfait où l’identification de P comme réfé-
rence temporelle, pour des raisons contextuelles ou pragmatiques,
ne convient pas au destinataire. Voici un exemple où cet usage est
justifié parce qu’il permet de communiquer quelque chose de
plus qu’une simple indication sur le schéma temporel de l’énoncé :
16) « Judith ne reconnut pas le « joyeux colporteur » qui la quittait
quelques semaines plus tôt »24
22 Pour la théorie de la pertinence, voir Dan Sperber et Deirdre Wilson, Relevance : Communica-
tion and Cognition, Cambridge MA : Blackwell, Oxford and Harvard University Press, 1986.
23 Voir ibid., p. 3.
24 André Schwarz-Bart, Le dernier des justes, exemple cité originellement dans Arne Klum, Verbes
et adverbes, Uppsala : Almqvist et Wiksell, 1961, p. 258.