Milli mála - 01.06.2014, Page 59
FRANÇOIS HEENEN
Milli mála 6/2014
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pas défini d’une manière fixe dans le cadre de cette approche. Nous
devons simplement imaginer une forme de politesse que B décou-
vrirait en cherchant à expliciter la forme décodée suivante : « il y a
un moment dans un monde inaccessible à partir du moi-ici-
maintenant durant lequel il y a A qui veut me demander un servi-
ce ». B va probablement se demander pourquoi cette proposition
« A veut me demander un service » n’est pas dans le monde du
moi-ici-maintenant. Il peut faire trois hypothèses pour expliquer
cette incompatibilité :
a) A n’est pas l’agent de « veut demander un service ».
b) A ne veut rien.
c) A ne veut pas demander un service.
Il considère probablement les hypothèses b. et c. comme trop
contradictoires avec la situation de l’énoncé puisqu’il est clair que A
va demander un service. Il opte donc pour la première hypothèse et
imagine un agent qui est différent de A dans le moi-ici-maintenant.
Sa conclusion sera que l’agent est A dans le passé. Il imaginera le
monde de A dans le passé et déterminera un moment dans ce
monde auquel correspond la proposition « A dans le passé veut
demander un service. » Si on considère que l’effet d’atténuation ré-
side dans le fait que A se déresponsabilise vis-à-vis de l’impact de sa
phrase, on peut dire qu’ici aussi cet effet est lié au raisonnement en-
clenché par l’entité indéfinie de l’imparfait, le monde dans lequel le
procès vient se placer.
Pour le troisième scénario, conforme aux définitions d’Anne-
Marie Berthonneau et Georges Kleiber, nous allons suivre la des-
cription que ces auteurs font eux-mêmes du fonctionnement de
l’imparfait de politesse : « le locuteur, en employant l’imparfait, jus-
tifie en fait sa demande à t0 en renvoyant, par je voulais, ..., à une si-
tuation du passé, accessible à l’interlocuteur où les signes de son dé-
sir étaient perceptibles avant qu’il les mentionne lui-même ».43 La
valeur anaphorique de l’imparfait oblige B à joindre la situation de
communication avec une situation passée saillante. Il peut s’agir du
bref instant où B a aperçu A avant qu’il n’arrive, ou d’un échange
verbal préalable. Le seul critère pour déterminer cet antécédent est
43 Berthonneau et Kleiber, « Imparfait et politesse : rupture ou cohésion ? », pp. 81–82.