Milli mála - 01.06.2014, Síða 109
IRMA ERLINGSDÓTTIR
Milli mála 6/2014
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« agrammaticaliser » le français, d’en travailler la syntaxe pour en fai-
re un langage ouvert, réceptif, souple, tolérant, intelligent, capable
d’entendre les voix des autres dans son propre corps. C’est une
grande tradition révolutionnaire de la poésie française – en ce sens,
Cixous se place dans l’héritage de quelqu’un comme Rimbaud – une
certaine violation des limites, un certain déploiement du langage, et
par-dessus tout, un certain travail sur le signifiant et, bien sûr, une
attitude nécessairement politique. 14
Cixous décrit le langage comme un pays dans lequel des scènes
comparables à ce qui arrive sur la scène sociopolitique se déroulent
sur un mode linguistique et poétique : « Les mots sont nos portes
vers d’autres mondes. Pour celui qui a tout perdu, un être aimé ou
un pays, le langage devient sa terre, son pays. On vit dans le pays du
langage. » 15 L’impossibilité de s’enraciner dans un « pays terrestre »
nie l’idée d’appartenir à une identité politique prédéfinie ou à une
nation :
En Algérie je n’ai jamais pensé que j'étais chez moi, ni que l’Algérie était
mon pays, ni que j’étais française. Cela faisait partie de l’exercice de ma
vie : je devais jouer avec la question de la nationalité française qui était
aberrante, extravagante. [...] C’est la langue française qui m’a conduite à
Paris. En France, ce qui est tombé de moi d’abord, c’est l’obligation de
l’identité juive. D’une part, l’antisémitisme était incomparablement plus
faible à Paris qu’à Alger. D’autre part, j’ai brusquement appris que ma vé-
rité inacceptable dans ce monde était mon être femme. Tout de suite, ce
fut la guerre. J’ai senti l’explosion, l’odeur, de la misogynie. Jusqu’ici, vi-
vant dans un monde de femmes, je ne l’avais pas sentie, j’étais juive, j’étais
juif. A partir de 1955, j’ai adopté une nationalité imaginaire qui est la na-
tionalité littéraire.16
La pensée d’Hélène Cixous suppose, écrit Jacques Derrida, « le gage
d’un autre langage qui doit à la fois être autre en contresignant ce
qu’il écoute et métaphrase en parlant. Et donc […] laisser arriver
quelque chose en parlant de quelque chose, voir en parlant un autre
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Calle-Gruber et Cixous, Hélène Cixous, photos de racines, pp. 206–207.