Milli mála - 01.06.2014, Blaðsíða 114
INSCRIPTIONS DU POLITIQUE CHEZ HELENE CIXOUS
Milli mála 6/2014
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Le rêve est une constante dans l’œuvre d’Hélène Cixous qui est
une scène des « rêvenances », du premier livre à travers les titres Rê-
veries de la femme sauvage (2000), Rêve je te dis (2003) et Hyperrêve (2006)
jusqu’aux parutions plus récentes, notamment Revivrements dans
l’antarctique du cœur (2011). Le rêve n’a point de lieu de consignation
comme doit l’avoir une archive, il n’est ni localisable ni matériel,
nulle part présent, par contre, il est comme l’archive toujours à ve-
nir, toujours déjà transcrit et répété37 ; et pour ce qui est de
l’extériorité : le rêve est ouvert à l’extérieur, peuplé par l’autre ; il ac-
cueille « la spectralité de tous les esprits et [le] retour des revenants »
comme le dit Derrida à propos des rêves dans Fichus.38 La voix nar-
rative d’Or, les lettres de mon père décrit ainsi son attente du Récit : «
Mais quand je reviens dans ma maison à livres chaque année, je
tremble de confiance. Reviendra-t-elle ? Reviendrai-je ? Nous re-
trouverons-nous ? Qui retrouverons-nous ? Ci vivent tant de possi-
bilités. En tremblant d’espérance je pousse la lourde porte je grimpe
en haut de la tour, je m’assieds à ma table, j’étale devant moi le dé-
sert et j’attends. »39 Notons en passant qu’elle tremble de confiance
et d’espérance – et pas de « crainte », comme suggère le titre de
l’ouvrage de Søren Kierkegaard, Crainte et tremblement (Frygt og Bæven),
quoiqu’il arrive parfois à la voix narrative chez Hélène Cixous
d’éprouver de la peur comme par exemple dans L’ange au secret où
elle s’est promis de se « laisser guider par les voix qui lui font
peur »40 ; il y a donc des voix qui ont peur et d’autres qui ont moins
peur ou qui feignent de ne pas avoir peur. Il s’agit, en tout état de
cause, de croire au récit ou au rêve ; sa « maison à livres » est ouver-
te… et elle ne sait pas qui va venir, ça peut être n’importe qui. Elle
s’expose à l’imprévu : « Qui va me lire ? Qui va élire en moi le lit de
37 Dans L’Écriture et la différence, Derrida note à ce propos : « Le texte conscient n’est […] pas
une transcription parce qu’il n’y a pas eu à transposer, à transporter un texte présent ailleurs
sous l’espèce de l’inconscience. […] Il n’y a donc pas de vérité inconsciente à retrouver parce
qu’elle serait écrite ailleurs. […] Le texte inconscient est déjà tissé de traces pures, de diffé-
rences où s’unissent le sens et la force, texte nulle part présent, constitué d’archives qui sont
toujours déjà des transcriptions ». L’Écriture et la différence, Paris : Seuil, coll. « Tel Quel », 1967,
pp. 313–314 (texte souligné par Derrida).
38 Derrida, Fichus, p. 36.
39 Cixous, Or, les lettres de mon père, p. 11.
40 Cixous, L’ange au secret, p. 95.