Milli mála - 01.06.2014, Síða 120
INSCRIPTIONS DU POLITIQUE CHEZ HELENE CIXOUS
Milli mála 6/2014
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septembre en 2011 par France Culture, trois femmes françaises
écrivains, Delphine de Vigan, Marie Darrieussecq et Céline Minard,
réagissent de façon identique à Sarraute mais dix-sept années plus
tard. Cette constance montre que les expressions « littérature fémi-
nine » et « écriture féminine » sont politiquement délicates et pro-
voquent toujours des réactions, des résistances, très fortes.65 Natha-
lie Sarraute et les auteurs interrogées sur le sujet dans « Le Carnet
d’or » semblent dénoncer dans les entretiens cités ci-dessus la manie
de certains critiques et lecteurs à retrouver, dans les textes écrits par
des femmes, des traits typiquement féminins et si éminemment
identifiables que l’on ne saurait douter de la détermination du sexe
de l’auteur. Réduire la littérature féminine à une référence normati-
ve, à une sorte de « modèle femelle », c’est reprendre la conception
traditionnelle et patriarcale de la femme basée sur les oppositions
binaires. Il est évidemment fallacieux d’affirmer que les écrivains-
femmes aient une préférence naturelle pour des thèmes comme la
maternité, l’accouchement et la sphère domestique. Il faut pourtant
dire que ce type de critique discriminatoire était rare et l’est encore
plus aujourd’hui. Mais, dire, comme Nathalie Sarraute, qu’une écri-
vain-femme fait autant d’impression qu’un écrivain-homme, n’est-ce
pas d’une certaine manière se référer à un modèle préexistant
comme étant le seul valable ? Une femme qui écrit bien vaut-elle
donc bien un homme ? Posons la question différemment avec Luce
65 Le directeur de l’émission a posé la question suivante à Delphine de Vigan, Marie Darrieus-
secq et Céline Minard : « La question de littérature féminine ou d’écriture féminine qui pren-
drait enfin la parole, qu’est-ce que ça vous inspire ? » Marie Darrieussecq y répond la premiè-
re en disant qu’elle ne pense pas qu’ « il y a une écriture féminine parce qu’il n’y a pas une
écriture masculine ou alors il faut se mettre d’accord qu’il y a une masculine d’abord puis une
écriture féminine qui vient s’encastrer là-dedans. S’il y une écriture féminine c’est très, très em-
bêtant pour nous parce que ça nous ghettoïse, ça nous minorise. C’est pour ça que moi je me mé-
fie de ces mots-là. Après il y a peut-être des thèmes féminins mais si vous prenez Balzac, Les
Mémoires de deux jeunes mariées, il écrit des pages sur l’allaitement, sur la maternité extraordinai-
res à la première personne, lettres fictives. Donc voilà, il faudrait des heures pour parler de
ça mais on est tous déguisés en hommes et en femmes, c’est ce que je pense fondamentale-
ment. » Delphine de Vigan, auteur du roman Rien ne s’oppose à la nuit, répond aussi de cette
façon extrêmement négative : « Non, je ne crois pas du tout à ça non plus. En plus quand on
utilise cette expression, il y a derrière des sous-entendus de sentimentalisme, de niaiseries. Effecti-
vement tous les thèmes liés à la maternité mais d’une manière cocue, j’ai envie de dire et moi
ça me hérisse pas mal. Parce que je crois précisément comme le dit Marie que les hommes sa-
vent très bien écrire ça et que les femmes savent très bien écrire ce que c’est d’être un hom-
me aussi « Le Carnet d’or », le magazine littéraire de France Culture dirigé par Augustin Tra-
penard, diffusé le 3 septembre 2011. C’est nous qui transcrivons l’émission et qui soulignons.