Milli mála - 01.06.2014, Qupperneq 123
IRMA ERLINGSDÓTTIR
Milli mála 6/2014
128
[…] qui ne feint parfois d’échapper à ce vieux programme que pour
l’aggraver et capitaliser ses bénéfices, opération qui peut trouver ses
stratèges et parmi les hommes et parmi les femmes. »73
Conclusion
Pour Emmanuel Lévinas, il faut « redonner vie aux livres » afin de
retrouver le chemin d’une intériorité bafouée par l’histoire, d’une in-
tériorité qui, souvent, constitue le seul rempart contre la barbarie.74
Lévinas trouve un accès à cet intérieur dans les textes juifs et en
particulier la Bible qu’il définit comme « le livre par excellence ».
Dans son œuvre, depuis les premiers livres et à travers tous les gen-
res qu’elle pratique, ses fictions, ses pièces de théâtre et ses travaux
théoriques, Hélène Cixous reprend des textes anciens, à des fins de
déconstruction et de restructuration. Sa fréquentation du fond tra-
ditionnel se fait dans l’écart – c’est-à-dire dans un espacement de
réflexion, dans une distance généreuse. Le lieu de la relecture et de
l’écriture est, pour Cixous, un lieu de partage – de compagnonnage,
de transmission et des passages. Elle reprend les chemins des livres,
des contes, des légendes, des mythes, bref de tous ces textes qui
constituent notre héritage culturel – pour y trouver un « ailleurs ».
Elle va à la recherche de ce que l’histoire interdit, n’admet pas ou
exclut – le rêve, les femmes, le féminin, les différences sexuelles.75
Repenser l’histoire, pour elle, c’est exposer un autre passé et un au-
tre avenir ; c’est lui appliquer une force transgressive, une
« puissance du fantasme ».76 La relecture se présente ainsi comme
un mouvement, une sortie de l’ancienne Histoire pour arriver dans
un lieu autre. Elle élit et elle est é-lue par des textes qu’elle accueille
au sein de son écriture mais sur lesquels elle opère ensuite des ren-
73 Ibid., p. 122.
74 Emmanuel Lévinas, Noms propres, Paris : Le livre de poche, 1997, p. 180.
75 Voir : « Mais je vais du côté de ce qui n’existe que dans un ailleurs, et je cherche, pensant que
l’écriture a des ressources indomptables […] Que l’écriture c’est ce qui est en rapport avec le
non-rapport ; que ce que l’histoire interdit, ce que le réel exclut ou n’admet pas, peut s’y ma-
nifester ; de l’autre ; et le désir de la garder en vie » ; Cixous, « Sorties », La Jeune Née, p. 136.
76 Cette expression, nous l’empruntons à Jacques Derrida qui dit avoir eu le souffle coupé à sa
première lecture d’Hélène Cixous par « la vitesse, la force transgressive, la puissance de vérité
du phantasme, son analyse acharnée, le jeu sérieux avec les multiples identités sexuelles » ;
Derrida, « H. C. pour la vie, c’est à dire… », p. 131.