Milli mála - 2018, Blaðsíða 38
LA POLITIQUE DE NEUTRALITÉ
38 Milli mála 10/2018
En tant que personnage central de la pièce, Sihanouk cultive le
lien entre le passé et le présent autant qu’il garantit les conditions
nécessaires au renouveau de son pays. L’Histoire terrible… adopte
la structure d’une tragédie shakespearienne, avec le protagoniste
principal personnifiant le Cambodge dans sa lutte contre des ac-
teurs internes et externes qui – poussés par des volontés impériales,
nationales ou totalitaires – prétendent à jouer un rôle dans le destin
du pays. Le thème central de la pièce repose sur la tension entre le
traditionalisme et la modernisation, entre le nationalisme et l’impé-
rialisme, et aussi entre la territorialité et l’exil. Sihanouk est dépeint
comme un gardien de la souveraineté et des traditions du Cambodge
contre certains prédateurs étrangers motivés par des inimitiés his-
toriques, des desseins impériaux ou des idéologies totalitaires. Tel
qu’il est représenté dans la pièce, Sihanouk donne l’impression
d’avoir été un dirigeant égocentrique et sentimental qui gagne en
dignité au fur et à mesure qu’il perd en statut politique. Sihanouk y
décrit de la façon suivante la neutralité qu’il prétend adopter : « Ma
neutralité sera Neutre, extrême et exemplaire » (p. 41). Du fait qu’il
cherche à neutraliser ses ennemis internes et externes en se taillant
un espace politique à mi-chemin entre deux extrêmes, il est un per-
sonnage simultanément sympathique et tragique – il ne gouverne
ni trop à droite, ni trop à gauche dans sa politique intérieure et ne
se tient ni trop près de l’Occident capitaliste, ni trop près de l’Est
communiste dans sa politique extérieure6. Dans la langue symbo-
lique de la pièce :
Sihanouk est là, le Cambodge existe ! Nous sommes là, à la pointe de la
grande Asie ! Vous voyez ? Là ! Le fer de lance de la neutralité, l’étendard
blanc, ni bleu ni rouge ; le glorieux havre de toutes les fiertés, cet autre
Éden, cette moitié de paradis, c’est nous. (p. 57)
6 La façon dont Hélène Cixous joue avec les mots « neutre » et « neutralité » dans la pièce fait réfé-
rence à sa pensée poétique dans son livre Neutre (première édition Grasset, 1972) : « De même que
l’un n’est pas sans l’autre, l’un ne peut être pensé sans l’autre », Neutre, Paris : Des femmes, 1998,
p. 20. Le « neutre », comme l’étymologie du mot le précise, c’est ni l’un ni l’autre. C’est l’entre,
l’innommable, l’insaisissable. « Neutre » trace aussi, comme l’écrit Eberhard Gruber, « le chemin
pour la charis, la joie de tous, du chœur […] enthousiasme commémoratif ». Eberhard Gruber,
« Quant au neutre », dans Mireille Calle-Gruber (éd.), Du Féminin, Sainte-Foy (Québec) : Le
Griffon d’argile, 1992, p. 52.