Milli mála - 2018, Page 40
LA POLITIQUE DE NEUTRALITÉ
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américaines tuèrent des dizaines de milliers de personnes, une situa-
tion qui mena à l’effondrement des infrastructures, de la structure
sociale traditionnelle cambodgienne et de la production économique
du pays, et a en outre causé le déplacement de centaines de milliers
de personnes. Tout comme Shawcross, Cixous raconte une histoire
américaine empreinte de cynisme, d’arrogance et d’actes criminels
envers un pays militairement faible qui, sous Sihanouk, avait tou-
jours su jongler sur une ligne extrêmement mince avec, d’une part,
les aspirations d’intégrité territoriales et de neutralité du pays et,
d’autre part, les intérêts politiques de voisins beaucoup plus pro-
minents – la Chine, la Thaïlande et le Vietnam, sans compter ce
pouvoir mondialement dominant, les États-Unis. L’hostilité améri-
caine envers toute neutralité au cours de la guerre froide ne pouvait
être apaisée que si celle-ci était perçue comme penchant du côté des
intérêts des États-Unis ; la perception contraire était suffisante pour
qu’un pays soit rangé dans la catégorie de sympathisants à la cause
communiste, ce qui d’emblée justifiait l’interférence – celle-ci pre-
nant la forme soit de récompenses ou de sanctions économiques et
d’opérations militaires, soit d’interventions directes. Ainsi, l’Ambas-
sadeur américain à Phnom Penh, Robert McClintock, indique dans
la pièce : « Il faut forcer Sihanouk à choisir entre deux neutralités,
la neutralité procommuniste et la neutralité proaméricaine » (p. 81).
Cixous n’absout d’aucune manière le régime khmer rouge pour
sa perpétration des atrocités qui suivirent l’effondrement du régime
de Lon Nol, soutenu par les Américains. Ces terribles événements
entraînèrent la mort de 20% de la population – soit 1,7 millions
de personnes entre 1975 et 19799. Elle est en fait beaucoup plus
prudente que Shawcross lorsqu’il s’agit de détailler les activités des
Khmers rouges dans les années 1950, 1960 et au début des années
1970 : dans la pièce, elle choisit de mettre l’accent sur les trajec-
toires personnelles et politiques de deux de leurs leaders, à savoir
Khieu Samphân et Ieng Sary, mais aussi sur la femme de ce dernier,
Ieng Thirith, lesquels furent tous reconnus coupables de crimes,
notamment contre l’humanité, en 2011 par le Tribunal des crimes
de guerre10.
9 Adrian Kiernander, Ariane Mnouchkine and the Théâtre du Soleil, op.cit.
10 Seth Mydans, « Ex-Khmer Rouge leaders Go on Trial in Cambodia », The New York Times, 26 juin