Le Nord : revue internationale des Pays de Nord - 01.06.1944, Blaðsíða 146
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LE NORD
impondérables, et que la force morale est une telle donnée. La
misére, la détresse---------, la pauvreté du pays et l’exigui'té du
peuple y entrent bien entendu pour quelque chose, quand la vio-
lence et le malheur nous menacent, mais ils ne signifient pas tout
et parfois trés peu. II est plus important de posséder quelque chose
que l’on aime plus que la vie et de connaítre quelque chose que
l’on redoute plus que la mort. »
Yoilá des principes qui devaient enchanter les jeunes Finnois
en quéte d’horizons spirituels durables. Mais ces principes étaient
ceux de Kant, qui ne tenait pour morales que les actions qui « sont
dictées par le devoir et par l’amour de la loi et non pas par un
attachement aux résultats que les actions sont appelées á amener ».
La morale de Kant et de ceux qui s’en inspiraient en Alle-
magne, en Suéde et en Finlande constituait en somme une réaction
contre la morale utilitaire du XVIIF siécle. Mais comme celle-ci
portait une empreinte particuliérement fran^aise, on ne pouvait
pas s’empécher d’adopter des préjugés á l’égard de tout ce qui
était fran^ais. Les doctrines sociales contemporaines d’un enthou-
siaste comme le comte de Saint-Simon et de ses éléves arrivaient
plutöt travesties en Finlande, ou elles ne manquaient pas d’avoir
un effet nettement négatif au point de vue du rapprochement
de l’élite de la Finlande et de la civilisation frangaise. La petite
élite de la Finlande savait le fran^ais, mais ne connaissait guére la
France.
Ce fut, par ex., le cas du poéte national de la Finlande /. L.
Runeberg, qui critiqua trés sévérement l’école romantique fran-
^aise sur Lucrece Borgia de Victor Hugo qu’il trouvait « super-
ficielle, fanfaronne et peu naturelle ». Irrité par les excés d’Hugo,
il s’est méme permis des généralisations mal venues qui prouvent
qu’il ne connaissait pas les lettres fran^aises.10)
Ce fut le cas également du jeune Snellman, futur philosophe
et homme politique éminent, qui devait jeter les bases théoriques
d’une nation finnoise spirituellement indépendante. Le passage
suivant d’un de ses écrits de jeunesse fait penser tant á ce que nous
venons de dire sur les lettrés finnois de cette époque en général,
qu’á l’exemple particulier de Runeberg: « Pour une raison incon-
nue, j’avais pris en aversion tout ce qui était frangais ».“)
10) Voir J. E. Strömberg, Johan Ludvig Runeberg, Biografiska anteck-
ningar, III, Helsinki, 1889, p. 299.
11) Voir Th. Rein, Johan Vilhelm Snellman, I, Helsinki, 1904, p. 43.