Milli mála - 2020, Síða 109
Milli mála 12/2020 109
FRANÇOIS HEENEN
10.33112/millimala.12.3
un épisode, de la même manière qu’il ferait avec la mémoire à tâche
positive représentée par le passé simple, et à partir de là imagine une
autre situation dans le passé. Plusieurs raisons expliqueraient ce mode
de travail de la mémoire. L’une serait qu’au moment où il récupère
l’épisode qu’il exprime avec le plus-que-parfait, le locuteur n’a qu’un
souvenir flou de la situation sous-entendue. La seule chose dont il
serait certain c’est qu’une autre situation lui a fait place. Cette expli-
cation vaudrait pour l’exemple 39. Une autre raison serait que le
locuteur n’ait pas le souvenir de la situation sous-entendue et qu’il la
reconstruit à partir de l’épisode récupéré, en s’aidant d’un schéma
d’actions. Pour illustrer une telle situation, considérons l’exemple
suivant :
43. « Il fallut aller cueillir le grand oiseau d’or au milieu d’un
champ de magnolias où ils’était doucement posé. »33
On peut supposer ici que le locuteur a le souvenir de l’oiseau se posant
au milieu du champ de magnolias et également celui des personnes
qui décident d’aller le cueillir. Mais il n’aurait pas celui de l’oiseau
dans le champ. Pour se représenter cette situation, il se fierait au
schéma {{x se pose sur y} implique {x est sur y}}. Cet exemple montre
également comment se produit le rapport d’antériorité entre l’événe-
ment décrit au plus-que-parfait et celui au passé simple. Puisque
l’événement décrit au plus-que-parfait a été récupéré par la mémoire
à tâche positive, il correspond à une étape franchie par la mémoire.
Donc la situation sous-entendue ne peut que concerner un autre épi-
sode avec une référence temporelle différente. Cela explique qu’un
verbe au plus-que-parfait exprime toujours un rapport d’antériorité
même s’il n’y a pas d’énoncé au passé simple à proximité. Si mainte-
nant le cotexte rend compte d’un autre événement, comme celui de la
prise de décision d’aller cueillir l’oiseau dans l’exemple 43, on suppose
que la situation sous-entendue, l’oiseau au milieu du champ, est
encore une circonstance de cet événement-là, qui ne peut donc être
que postérieur à celui exprimé au plus-que-parfait.
33 Exemple cité dans Denis Apothéloz et Bernard Combettes, « Saillance et aspect verbal : le cas du
plus-que-parfait », saillance. Aspects linguistiques et communicatifs de la mise en évidence dans un texte,
1/2011, Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, pp. 225–246, ici p. 230.