Milli mála - 2020, Page 110
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MÉMOIRE ET TEMPS DU PASSÉ
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10. Le système des temps du passé du français
selon l’hypothèse mnésique
L’hypothèse que les temps grammaticaux du passé expriment diffé-
rents modes de travail de la mémoire n’est pas justifiable uniquement
à travers des analyses d’énoncés, qu’on pourra toujours considérer
comme partiales. Dans les paragraphes qui vont suivre, nous allons
tenter de montrer que le besoin de marquer spécifiquement différents
modes de travail de la mémoire provient naturellement du discours
narratif.
Imaginons un locuteur sur le point de faire un récit narratif et
utilisant une forme grammaticale particulière, disons le passé simple,
pour indiquer que pendant la communication du récit, sa mémoire
épisodique sera active. L’interlocuteur a donc la présomption que les
énoncés qu’il va interpréter représenteront chacun des produits de la
mémoire épisodique. Il cherche à confirmer cette présomption. Donc,
se basant sur sa propre connaissance du fonctionnement de la mé-
moire épisodique, il s’attend à ce que les énoncés représentent des
souvenirs d’événements du passé qui ont été recherchés par la mé-
moire avec un motif décidé à l’avance, et dont la récupération procure
au locuteur un certain effet cognitif. Pour reconnaître ces propriétés
des souvenirs épisodiques à travers les énoncés, l’interlocuteur va se
constituer des critères. L’un d’eux sera par exemple qu’un énoncé dé-
crivant une action inchoative sera pertinent parce qu’il est aisé d’ima-
giner que le souvenir du début d’une nouvelle action procure un effet
cognitif. De même, il est plus facile d’imaginer qu’un événement
global ait pu constituer le motif d’une recherche mnésique, plutôt
qu’un événement dont le déroulement est lié à celui d’un autre. Un
troisième critère serait que l’énoncé décrive un événement temporel-
lement subséquent à celui décrit par l’énoncé précédent puisque la
suite dans le temps est un repère naturel dont se sert la mémoire
épisodique pour inscrire deux événements.
Supposons que durant la communication du récit le locuteur récu-
père des souvenirs qu’il considère pertinents, mais qui ont des pro-
priétés différentes des autres. Pour rapporter ces souvenirs, il a deux
options : soit il utilise la même forme linguistique, le passé simple, et
fait confiance à la perspicacité du destinataire pour sentir qu’il y a une