Milli mála - 2020, Page 111
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FRANÇOIS HEENEN
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différence entre ces souvenirs-là et les autres, soit il signale formelle-
ment que ces souvenirs sont différents en choisissant des formes spé-
cifiques. S’il a l’intuition que ces souvenirs différents ont des proprié-
tés régulières et qu’on peut les répartir en catégories, il va choisir la
deuxième option. Supposons qu’il marque ces catégories respective-
ment avec l’imparfait et le plus-que-parfait.
Pour interpréter les énoncés à l’imparfait, l’interlocuteur remar-
quera que l’événement auquel le verbe fait référence a la plupart du
temps des propriétés aspectuelles différentes de celles auxquelles font
référence les énoncés au passé simple. En particulier les événements à
l’imparfait sont des états, ou des activités sans bornes temporelles
définies, qui sont difficilement concevables comme des cibles de la
mémoire épisodique. Cette propriété des énoncés à l’imparfait n’est
pas constante, mais l’interlocuteur la considérera comme l’indication
qu’il faut associer ces énoncés avec un mode de travail mnésique dans
lequel aucune cible prédéfinie ne joue un rôle déterminant. Par ce
biais, il est donc facilement concevable que l’interlocuteur en arrive à
la conclusion que les énoncés à l’imparfait décrivent des souvenirs qui
viennent spontanément à l’esprit. Se fiant maintenant sur sa propre
expérience de la mémoire spontanée des événements du passé, il sait
que celle-ci a deux propriétés qu’il s’attend à pouvoir inférer à travers
le co(n)texte : la première est d’être souvent suscitée par un souvenir
épisodique précédemment récupéré, la seconde est de favoriser la ré-
cupération d’autres souvenirs, qu’ils soient eux également spontanés
ou épisodiques. En conséquence, il applique à l’énoncé deux procé-
dures qui confirment ces deux propriétés. La première consiste à dé-
terminer un événement, explicitement ou implicitement indiqué par
le contexte, que l’on pourrait associer au souvenir responsable du
fonctionnement de la mémoire spontanée. Le fait que l’énoncé à l’im-
parfait inclut des éléments en coréférence avec des éléments d’autres
énoncés à proximité constitue un indice pour l’interlocuteur que cette
procédure est bel et bien intentionnée par le locuteur. À travers la
deuxième procédure, l’interlocuteur se sert d’hypothèses encyclopé-
diques sur l’action ou l’état décrit par le verbe pour inférer des images
mentales qui pourraient correspondre à celles que se ferait le locuteur
à la suite du souvenir spontané. Ici également, l’interlocuteur s’attend
à ce que cette procédure soit facilitée par le choix du verbe à l’impar-