Milli mála - 01.06.2016, Qupperneq 157
ALEXANDER KÜNZLI, GUNNEL ENGWALL
Milli mála 8/2016 157
souvent elliptiques, terminées par des points d’exclamation. Nous
trouvons des exemples d’usage peu conventionnel de la langue : (1)
Y-a-t-il d’homme qui soit sûr d’être le seul préféré ! au lieu de par
exemple Un homme peut-il être certain d’être le seul aimé !, (2) Et eux, les
bienheureux, ils ne s’en doutent pas, les bienheureux, la répétition de les
bienheureux est inattendue, (3) Un mari vivrait cent ans, qu’il ne serait
jamais au courant de l’existence de sa femme au lieu de par exemple Un
mari pourrait bien vivre cent ans qu’il ne serait jamais au courant de
l’existence que mène sa femme. À cet usage peu conventionnel du
français s’ajoutent des erreurs de langue. Nous verrons maintenant
ce qu’en fait le réviseur français, Georges Loiseau.
Première édition française (1895)29 :
En tous cas, il est temps d’en finir, il faut arrêter ce flux d’idées creuses ! Il
faut avoir des certitudes ou mourir ! Un crime s’est perpétré dans l’ombre
ou je suis fou ! Reste donc à découvrir la vérité !
Etre un mari cocu ! Qu’est-ce que cela peut me faire, si je le sais !
L’important c’est que je puisse être le premier à en rire. Est-il un homme au
monde qui puisse dire avec certitude qu’il est le préféré d’une femme ?...
Quand je passe en revue mes amis de jeunesse, aujourd’hui mariés, je n’en
trouve qu’un seul qui ne soit pas un peu trompé ! Et les bienheureux, ils ne
s’en doutent pas ! Il ne faut pas être vétilleux, bien sûr. Etre deux, être seul,
qu’importe ! mais ne pas savoir, c’est être risible ! Et voilà le point principal,
il faut savoir !
Un mari vivrait-il cent années, il ne saurait jamais rien de l’existence vraie
de sa femme ! Il connaîtra le monde, l’univers immense, il n’aura jamais une
idée formelle sur cette femme dont la vie est rivée à la sienne.
(190 mots)
Force est de constater que Georges Loiseau procède certes à la cor-
rection d’erreurs de langue, mais qu’il va bien au-delà de cette tâche
en adaptant le style et le contenu à sa guise. Nous appelons ce
deuxième type de changement facultatif adaptation plutôt que cor-
rection. En effet, ces modifications ne sont pas dictées par une quel-
conque norme linguistique, mais reposent sur la volonté du réviseur
29 Le Plaidoyer d’un fou, révision française de Georges Loiseau, Paris : Albert Langen, 1895, pp.
29–30.