Milli mála - 01.06.2016, Page 163
ALEXANDER KÜNZLI, GUNNEL ENGWALL
Milli mála 8/2016 163
médecin vient de la quitter, et elle demande me voir. Le baron me supplie
d’y aller. Et j’y vais ! Ramolli, que je suis !
(273 mots)
Le texte de Strindberg est dynamique : les paragraphes sont courts,
souvent composés d’une seule phrase, le ton est agité, la syntaxe
reflète à bien des égards le langage oral (répétitions, recours à et et
mais en début de phrase, parataxes) – autant d’éléments de style qui
révèlent peut-être la rapidité avec laquelle Strindberg rédigeait Le
Plaidoyer, mais aussi les oscillations émotionnelles du protagoniste.
Examinons maintenant le même extrait dans la version révisée de
Georges Loiseau.
Première édition française (1895)39 :
Je reste dans ma chambre, ce matin, en proie aux affres de la plus cruelle
déception. J’ai mordu à la pomme et on me l’arrache. Elle, la superbe, se
repent ; elle a des remords, elle en souffre ; elle m’accable de reproches, elle,
la séductrice ! Une idée diabolique me traverse l’esprit. M’aurait-elle
trouvé, par hasard, trop de retenue ? Dépitée par ma timidité, en
démordrait-elle ? Et puisqu’elle n’a pas eu souci du crime devant lequel j’ai
reculé, son amour est-il donc plus fort que le mien ? Revenez-donc une fois
encore, la belle, et vous verrez !
A dix heures du matin, un billet du baron m’appelle auprès de la baronne
qui est, paraît-il, gravement malade !
Je réponds qu’on me laisse en paix : « J’en ai assez, dis-je, d’être le trouble-
fête de votre ménage ; oubliez-moi comme je vous oublie. »
Vers midi, deuxième missive.
« Reprenons nos relations cordiales d’autrefois. Vous avez toujours mon
estime, car, malgré l’égarement, je suis intimement persuadé que vous
vous êtes conduit en homme d’honneur. Nous ne dirons jamais un mot de
ce qui s’est passé. Dans mes bras, fraternellement, et qu’il ne soit plus
question de rien ! »
La touchante simplicité, l’absolue confiance de cet homme m’attendrissent,
et je lui fais tenir une lettre, pleine de scrupules, avec prière de ne point
badiner avec l’amour, de me laisser ma liberté.
A trois heures de l’après-midi, dernier appel. La baronne est à l’agonie ; le
39 Le Plaidoyer d’un fou, révision française de Georges Loiseau, pp. 205–206.