Milli mála - 01.06.2016, Page 197
ANNE ELISABETH SEJTEN
Milli mála 8/2016 197
Anne Elisabeth Sejten
Université de Roskilde
Une pensée de l’eau
Pour une lecture bachelardienne
de l’œuvre d’Albert Camus
Il y a dans l’écriture de Camus une représentation bien particu-lière de la nature. Partout, des images de nature font irruption
dans une prose plutôt sobre et économe. Tantôt en souvenir du so-
leil et des terres rudes de l’Afrique du Nord, de ses habitants « na-
turels » aussi, tantôt franchement charnelle, tantôt allégorique du
seul bonheur possible de l’homme, la nature saisit l’œuvre de toutes
parts. Mais autant la nature s’impose comme thème majeur dans
l’œuvre de Camus, autant sa fonction est difficile à définir. De
quelle nature au fond s’agit-il ?
Si la réponse effectivement ne va pas de soi, c’est peut-être que
la nature, aussi bien dans les essais que dans la prose de Camus,
embrasse les formes privilégiées des éléments – celles de la terre, de
la mer, du ciel, du soleil – pour ainsi se métamorphoser en une
sorte de parole « élémentaire », parole du feu, de l’air, de l’eau et de
la terre. Du moins, telle est l’hypothèse qui se trouve à l’origine de
cette étude et qui nous a invitée à la placer sous l’enseigne des ré-
flexions de Gaston Bachelard sur l’imagination et les éléments.
C’est que la nature, appréhendée depuis les éléments, fuit l’homme
tout en s’installant en lui. Elle comporte de l’inhumain, de l’irré-
ductible, mais c’est en même temps à ce titre qu’elle offre à l’homme,
ses limites et son dépassement, sa propre image et l’étranger en lui,
sa condition et son destin.
Au sein de cette évocation des éléments, l’eau semble occuper
une place privilégiée. Contrairement à l’image communément ad-