Milli mála - 01.06.2016, Page 198
UNE PENSÉE DE L’EAU
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mise de Camus comme poète du soleil, nous serons amenée à déga-
ger la prédominance de l’eau dans son écriture. Force nous sera donc
de montrer, dans les pages qui suivent, que la représentation de la
nature se disloque dans une certaine poétique des éléments, avec
l’eau comme horizon esthétique secret. Bien sûr, dans l’énorme lit-
térature consacrée à Camus la thématique des éléments a été abordée,
mais le plus souvent afin d’ouvrir d’autres perspectives de lecture et
d’interprétation, reliant la nature, par exemple, à l’expression d’une
pensée hellénique1, à l’expérience du sacré2 ou, plus récemment, à la
particularité d’une perception camusienne3. Notre approche est bien
plus modeste, dans la mesure où seul l’essai de Bachelard sur L’eau et
les rêves guidera la lecture des textes de Camus, et si cette inspiration
bachelardienne est tenue à l’écart dans un premier mouvement
d’analyse, ce n’est que pour être pleinement convoquée , dans la der-
nière partie de notre étude, et pour faire valoir à quel point Camus
nous propose une pensée de l’eau, digne d’un intérêt philosophi-
que.
1. Leçons de la nature, paroles de l’eau
Il est intéressant de faire observer que déjà dans les essais à visée
philosophique la réflexion de Camus prend fortement appui sur les
manifestations les plus élémentaires de la nature. Dans les Noces, il
s’agit du vent de Djémila, de la mer, du soleil et de la race d’Alger,
du désert des « pierres mortes » d’Italie, si bien que la pensée se
présente sous l’aspect de leçons philosophiques données par un élé-
ment fondamental. À ces leçons se mêle une certaine « amertume »,
telle « l’amertume de cet enseignement »4 que fait le vent de
1 Voir Lionel Cohn, La nature et l’homme dans l’œuvre d’Albert Camus et dans la pensée de Teilhard de
Chardin, Lausanne, Éditions l’Age d’homme, 1976.
2 Voir Julie Roy, L’expérience du sacré ou la communion avec la nature dans l’œuvre d’Albert Camus,
Université de Sherbrooke, 2013.
3 Voir Matyás Tichy, L’image de l’eau et de la lumière dans L’étranger d’Albert Camus, Éditions
Universitaires Européennes, 2014.
4 Albert Camus, Le vent à Djémila, Noces, suivies de l’Eté, Paris : Gallimard, 1972 [1939], p. 30. Pour
le renvoi aux essais de Camus, le titre entier de l’essai sera suivi des abréviations suivantes : EE :
L’envers et l’endroit, Paris : Gallimard, Coll. Folio, 1995 [1958]; N : Noces, Paris: Gallimard, 1972
[1939]; ET : L’été, Paris : Gallimard, in Noces, suivies de l’Eté, Coll. Folio, Paris 1972 [1954]. Ces
sigles précèdent, sans autre indication, le chiffre renvoyant à la page de la citation.