Milli mála - 01.06.2016, Qupperneq 199
ANNE ELISABETH SEJTEN
Milli mála 8/2016 199
Djémila, telle « l’âpre leçon »5 de l’été algérien. C’est que l’esprit
de l’homme n’est guère satisfait par ce que lui enseigne la nature.
Face à elle, il perd ses repères habituels. Redoutable leçon, donc,
parce que la nature met l’homme à nu et le prive de son histoire,
ainsi « [l]’oubli de soi-même puisé dans l’ardeur de cette première
Italie [...] prépare à cette leçon qui nous enlève à notre histoire »6.
De même, un paysage contemplé depuis la terrasse du jardin
Boboli à Florence, saisi à l’instar de l’air « comme le premier sourire
du ciel »7, « enseignait » « patiemment » à l’auteur « [l]a grande
vérité » : « c’est que l’esprit n’est rien, ni le cœur même »8. Leçon,
donc, constamment différée par ce qu’elle enseigne, puisqu’elle
coupe court aux aspirations humaines, trop humaines, de vouloir, de
vouloir comprendre et espérer. La leçon de la nature finit par se
transformer en une anti-leçon, lorsqu’elle vient d’un pays dont
l’auteur dit qu’il « est sans leçons », parce qu’« [i]l ne promet ni ne
fait entrevoir »9.
Déjà les tout premiers essais, que Camus écrivit en 1935 et
1936, et publia plus tard dans L’envers et l’endroit, avaient annoncé
cette sensibilité singulière qui à force de se mettre à l’écoute de la
nature s’aliène en elle. Tout en peignant la beauté de la nature,
l’auteur prend acte du grand refus de cette même nature. Ce qui
frappe le narrateur à l’occasion d’un voyage en Italie, c’est qu’il n’y
a « aucune promesse d’immortalité dans ce pays »10. Dès le début,
la nature aura été inhumaine : « devant cette plaine italienne, peu-
plée d’arbres, de soleil et de sourires, j’ai saisi mieux qu’ailleurs,
l’odeur de mort et d’inhumanité »11.
Si la nature depuis toujours a tourné le dos à l’homme, elle est
cependant, à la mesure même de son indifférence, la source des ex-
périences qui remettent de la vérité en lui. Ainsi Camus prend-t-il
acte de l’autre face de cette négation opérée par la nature, l’envers
de l’endroit qu’elle occupe : « Mais, en même temps, entrait en moi
5 L’été à Alger, N, 50.
6 Le désert, N, 59.
7 Le désert, N, 67.
8 Le désert, N, 67.
9 L’été à Alger, N, 34.
10 La mort dans l’âme, EE, 94.
11 La mort dans l’âme, EE, 93.