Milli mála - 01.06.2016, Síða 205
ANNE ELISABETH SEJTEN
Milli mála 8/2016 205
Les plaisirs de Meursault sont surtout puisés dans l’eau. Son
« amour » pour Marie se confond avec l’eau, si bien qu’il n’est dici-
ble que dans l’élément aquatique : « Marie m’a rejoint alors et s’est
collée à moi dans l’eau [...] nous nous sommes roulés dans les vagues
pendant un moment »36. Et puisque c’est dans l’eau qu’ils se sentent
« d’accord dans [leurs] gestes et dans [leur] contentement »37, il
n’est pas étonnant que Marie ne sache évoquer autre chose que ces
baignades, lorsqu’elle rend visite à son ami en prison, comme si elle
acquiesçait enfin à ce langage tout naturel de l’eau qui lui seul les
réunirait : « Elle a dit [...] que je serais acquitté et qu’on prendrait
encore des bains »38.
C’est pourquoi, aussi, la privation la plus grave qu’inflige à
Meursault l’incarcération, c’est la privation de l’eau, de l’eau bai-
gnable : « l’envie me prenait d’être sur une plage et de descendre
vers la mer. A imaginer le bruit des premières vagues sous la plante
de mes pieds, l’entrée du corps dans l’eau, et la délivrance que j’y
trouvais, je sentais tout d’un coup combien les murs de ma prison
étaient rapprochés »39. Parfois Meursault ne sait cependant trancher
entre deux envies, celle du soleil et celle de l’eau : « j’étais occupé à
éprouver que le soleil me faisait du bien. [...] J’ai retardé encore
l’envie que j’avais de l’eau »40. Ne devient-il pas l’assassin de l’Ara-
be justement au moment où le soleil, masculin et puissant, se rend
maître de l’eau ? Car, une fois l’eau déséquilibrée, le soleil enflamme
les autres éléments, la terre, l’air et l’eau, et Meursault subit alors
« la pluie aveuglante du ciel »41 et tire ses fameux quatre coups de
revolver.
Sans doute ne trouve-t-on pas le ton énigmatique de L’étranger
dans La peste, mais celui d’une « chronique »42 tenue par un narra-
teur mesuré. Assurément, ce vaste roman se différencie des deux
autres romans qui l’entourent par des techniques romanesques plus
classiques, plus réalistes aussi. Une lecture à la recherche d’images
36 Albert Camus, L’étranger, Paris : Gallimard, Col. Folio, 1984 [1942], p. 58.
37 Ibid., p. 82.
38 Ibid., p. 117.
39 Ibid., p. 119–120.
40 Ibid., p. 82.
41 Ibid., p. 91.
42 Albert Camus, La peste, Paris : Gallimard, Coll. Folio, 1975 [1947], p. 9.