Milli mála - 01.06.2016, Blaðsíða 213
ANNE ELISABETH SEJTEN
Milli mála 8/2016 213
feu et la terre »73. Elle est un « élément plus uniforme que le feu,
élément plus constant qui symbolise avec des forces humaines plus
cachées, plus simples, plus simplifiantes »74. Ne pourrait-on pas
dire de Janine qu’elle coïncide, en se vouant à l’eau, avec cet « être
en vertige » que Bachelard décrit comme celui qui « meurt à cha-
que minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écoule »75 ?
De toute façon, dans l’étrange expérience solitaire de Janine, en
pleine nuit sur la terrasse du fort, d’où l’étendue illimitée du désert
se donne à voir, la nuit et les étoiles vont s’unir à des images de
l’eau, commencer à couler pour que Janine enfin se « réuniss[e] à
son être le plus profond »76.
Ainsi, littéralement, Janine se comble d’eau: « il lui semblait
retrouver ses racines, la sève montait à nouveau dans son corps qui
ne tremblait plus [...] Alors, avec une douceur insupportable, l’eau
de la nuit commença d’emplir Janine, submergea le froid, monta
peu à peu du centre obscur de son être et déborda en flots ininter-
rompus jusqu’à sa bouche pleine de gémissements »77. L’impact de
l’eau de la nuit serait d’ailleurs d’autant plus puissant que la nuit,
selon Bachelard, « entre dans la matière des choses », pour devenir,
non pas allégorique, mais « la Nuit [...] de la Nuit », « la matière
nocturne » qui s’offre à l’imagination matérielle.78 Justement, on
dirait que Janine absorbe la nuit par ce qu’il y a d’hydrique en
elle.
De cette rencontre entre l’eau de la nuit et son être, Janine tire
une double leçon. D’une part, elle se rend compte de la vanité de la
vie qu’elle a menée jusqu’à présent : « Après tant d’années où,
fuyant devant la peur, elle avait couru follement sans but »79.
D’autre part, elle reçoit humblement la parole de l’eau, en elle et en
dehors d’elle, pour comprendre, en donnant aux images de l’eau son
adhésion irraisonnée, qu’il s’agit là de son destin. En effet, selon
Bachelard, l’imagination matérielle de l’eau touche à un type de
73 Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 13.
74 Ibid., p. 12.
75 Ibid., 13.
76 La femme adultère, ER, 33.
77 La femme adultère, ER, 33–34.
78 Gaston Bachelard, ibid., p. 18.
79 La femme adultère, ER, 33.