Milli mála - 01.06.2016, Side 214
UNE PENSÉE DE L’EAU
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destin, à « un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la subs-
tance de l’être »80. Aussi dit-il que « déjà, dans sa profondeur, l’être
humain a le destin de l’eau qui coule »81. D’où, également, le thème
de la mort qui rôde dans tout texte signé Camus.
Ici comme dans les premiers essais tout se passe comme si les
images matérielles roulaient sur le texte comme des vagues, s’inté-
graient à lui, jusqu’à l’effacement de ce qui est en train de se dire,
mais, du même coup, pour donner lieu à une autre parole limpide,
elle de l’eau. Dès que l’écriture de Camus entre en rapport direct,
en-deçà de la représentation formelle, avec les sources matérielles
élémentaires, la nature se défait et se refait en retentissant d’échos
ontologiques. On dirait précisément dans le langage des philoso-
phes que l’ontique et l’ontologique se font indiscernables dans les
germes d’une imagination qui a su condenser les matières élémen-
taires. La nature, c’est ce qui fait bloc, se soustrait à la volonté de
l’homme et, en ce sens, elle est inhumaine, irréductible, mais pour
être délivré – Janine, précisément « voulait être délivrée »82 –
l’homme devra passer par elle, se rendre à elle, s’exiler des autres
pour subir sa douloureuse leçon. De toute manière, les personnages
de Camus, surtout ceux qui sont sensibles à l’eau, semblent en faire
l’expérience.
80 Gaston Bachelard, ibid., p. 13.
81 Ibid.
82 La femme adultère, ER, 31.